Enjeux actuels autour de la bénédiction des Minim
S’il est vrai que la question des Minim en général suscite
un certain intérêt dans la communauté des chercheurs du judaïsme de l’Antiquité
tardive, la bénédiction des Minim[1],
birkat ha-minim[2],
quant à elle, est un champ de recherche très fréquenté et distinct de la
question générale des Minim. Comprise au début comme une mesure antichrétienne
qui a marqué la rupture entre les deux religions, elle a ensuite été considérée
comme le signe de l’exclusion des synagogues des judéo-chrétiens, c'est-à-dire
des juifs chrétiens – et non des chrétiens tout court, compris dans le sens de
pagano-chrétiens.
Deux textes des deux talmuds, un premier du Bavli (TB
Berakhot 28b) et un second du Yerushalmi (TJ Berakhot 4,3) placent la décision
de la birkat ha-minim à Yavné, mot-clé qui sous-entend
traditionnellement qu’il s’agit de la réorganisation du judaïsme sans Temple
par les rabbins à la fin du premier siècle, par Yohanan ben Zakaï dans un
premier temps, puis par son successeur Rabban Gamaliel de Yavné.
Les récentes allégations de Boyarin[3]
sur ce sujet remettent en question un consensus largement établi d’une
bénédiction des Minim comme institution yavnéenne, compris comme un concile ou
un rassemblement des rabbins qui réorganisa le judaïsme après la destruction du
Temple. En réalité, Boyarin conteste purement et simplement l’existence d’un
Yavné à la fin du premier siècle : « A mon avis, la Yavneh du Bavli
est l’icône de la yeshiva stammaïte. […] ces récits doivent être
interprétés comme mythopoiesis talmudique plutôt que comme une
éventuelle historiographie ou mémoire talmudique de la première période
(tannaïtique) du mouvement rabbinique ». Boyarin adopte donc une posture
radicalement opposée à la vision traditionnelle puisqu’il affirme que Yavné est
un mythe créé par les rédacteurs stammaïtes du Talmud de Babylone.
Shaye Cohen dans son essai sur Yavné a une position plus
nuancée. Il reconnaît certes que les décisions de Yavné n’ont pris effet sur le
judaïsme que progressivement, mais il ne remet pas en cause l’existence d’une
activité des Sages de Yavné à la fin du premier siècle[4].
Boyarin a tendance à fortement minimiser les traces
possibles d’une lente évolution qui partirait du Yavné réel du premier siècle,
un groupe de juifs non dominant dans le paysage juif, et qui aboutirait à une
hégémonie lors de la rédaction du Talmud de Babylone.
Nous allons donc focaliser notre attention sur les traces
d’un Yavné réel à l’époque tannaïtique, même s’il ne porte pas explicitement ce
nom-là, dans la Mishna et la Tosefta, afin d’essayer de reconstruire l’histoire
de la bénédiction des Minim.