dimanche 12 décembre 2010

Permutation des genres en hébreu biblique

Abba Bendavid, dans son livre "la langue de la Bible et la langue des Sages" (לשון מקרא ולשון חכמים), aux pages 33 et 34, traite d'un phénomène courant dans la langue de la Bible : la permutation des formes masculines et féminines d'un même mot, souvent au sein d'un même verset.



Le phénomène existe pour les noms communs. Par exemple Isaïe 3,1 :

כי הנה האדון יהוה צבאות מסיר מירושלם ומיהודה משען ומשענה כל משען לחם וכל משען מים

מַשְׁעֵן וּמַשְׁעֵנָה sont la forme masculine et féminine d'un même mot.

Même phénomène en Nah 2,13 :

אריה טרף בדי גרותיו ומחנק ללבאתיו וימלא טרף חריו ומענתיו טרפה

avec טֶרֶף et טְרֵפָה


Les passage suivants comportent ce type de phénomène : Jr 48, 46 Dt 21,10 Lv 10,9-15) Il note que la Mishna ne connaît en général qu'une seule de deux formes, masculine ou féminine (par exemple שביה pour שבי présent seulement en hébreu biblique).


La permutation masculin / féminin peut se produire sur la terminaison plurielle de l'état construit. Exemple : Ps 75,11 וכל קרני רשעים אגדע תרוממנה קרנות צדיק


Ou encore, sur la terminaison (נעלות / נעלינו, אפוד / אפודתו),  les formes verbales (Gn 30,38-39 ויחמנה בבאן לשתות et ויחמו הצאן אל המקלות).

Le plus surprenant concerne surtout les pronoms suffixes. Par ex.
Nombres 27,7 :
כן בנות צלפחד דברת נתן תתן להם אחזת נחלה בתוך אחי אביהם והעברת את נחלת אביהן להן
Alors qu'il s'agit à l'évidence des filles de Zelof'had, on a droit de la terminaison "masculine" et "féminine" au sein du même verset !
En Za 5,10 :
המה מולכות את האיפה
au lieu de הנה.
Ez 34,23
 הוא ירעה אתם והוא יהיה להן לרעה

Tous ces exemples sont cités par Abba Bendavid qui conclut :

Tu vois que cette habitude (dans la langue biblique) de  jouer avec la grammaire finit par casser toute grammaire. Mais ce qui nous apparaît comme une hérésie (le mot qu'il emploie est שעטנז mais je tourne l'idée à la française) n'était pour eux qu'une belle rhétorique. Si les auteurs de la Bible avaient su combien ils tourmenteraient par cela les grammairiens, peut auraient-ils fait le choix d'une seule forme et s'y seraient tenus. Mais cela aurait été à l'encontre de leur tendance littéraire qui consiste précisément à multiplier les formes différentes, à remplacer et changer tout ce qui donne l'impression d'être en double. Et alors, l'unité de la grammaire en aurait été atteinte ? Ce concept de "grammaire" est trop récent et à l'époque, personne ne s'en souciait.


Cette remarque est intéressante en ce qu'elle démontre l'inutilité de vouloir à tout prix faire rentrer l'hébreu biblique dans une grammaire construite ultérieurement et qui sert avant tout à des fins pédagogiques et d'apprentissage de la langue. En revanche, ce que ne dit pas Bendavid, c'est qu'il est fort probable que ces permutations et changements de genre soient dûs à des raisons linguistiques, et pour être plus précis, des raisons phonétiques. Il me semble que cette idée est particulièrement vraie en ce qui concerne les pronoms.

Nombres 27,7 :
כן בנות צלפחד דברת נתן תתן להם אחזת נחלה בתוך אחי אביהם והעברת את נחלת אביהן להן

On peut constater que les sons "M" (mem) des pronoms sont suivis par les sons "coup de glotte" (alef) pour l'un et W pour l'autre (le vav était prononcé "ou" / w) et qu'en mettant un "N", on voit que la transition demande plus d'effort à l'appareil phonatoire : l'enchaînement M-W est plus facile que N-W.

Cette remarque n'a rien d'automatique ni d'absolu, mais c'est peut-être un élément supplémentaire qui s'ajoute à la volonté de variété dont pale Bendavid.

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