mardi 17 décembre 2013

La bénédiction des Minim - racines et évolution du concept dans la littérature rabbinique



Enjeux actuels autour de la bénédiction des Minim

S’il est vrai que la question des Minim en général suscite un certain intérêt dans la communauté des chercheurs du judaïsme de l’Antiquité tardive, la bénédiction des Minim[1], birkat ha-minim[2], quant à elle, est un champ de recherche très fréquenté et distinct de la question générale des Minim. Comprise au début comme une mesure antichrétienne qui a marqué la rupture entre les deux religions, elle a ensuite été considérée comme le signe de l’exclusion des synagogues des judéo-chrétiens, c'est-à-dire des juifs chrétiens – et non des chrétiens tout court, compris dans le sens de pagano-chrétiens.
Deux textes des deux talmuds, un premier du Bavli (TB Berakhot 28b) et un second du Yerushalmi (TJ Berakhot 4,3) placent la décision de la birkat ha-minim à Yavné, mot-clé qui sous-entend traditionnellement qu’il s’agit de la réorganisation du judaïsme sans Temple par les rabbins à la fin du premier siècle, par Yohanan ben Zakaï dans un premier temps, puis par son successeur Rabban Gamaliel de Yavné.
Les récentes allégations de Boyarin[3] sur ce sujet remettent en question un consensus largement établi d’une bénédiction des Minim comme institution yavnéenne, compris comme un concile ou un rassemblement des rabbins qui réorganisa le judaïsme après la destruction du Temple. En réalité, Boyarin conteste purement et simplement l’existence d’un Yavné à la fin du premier siècle : « A mon avis, la Yavneh du Bavli est l’icône de la yeshiva stammaïte. […] ces récits doivent être interprétés comme mythopoiesis talmudique plutôt que comme une éventuelle historiographie ou mémoire talmudique de la première période (tannaïtique) du mouvement rabbinique ». Boyarin adopte donc une posture radicalement opposée à la vision traditionnelle puisqu’il affirme que Yavné est un mythe créé par les rédacteurs stammaïtes du Talmud de Babylone.
Shaye Cohen dans son essai sur Yavné a une position plus nuancée. Il reconnaît certes que les décisions de Yavné n’ont pris effet sur le judaïsme que progressivement, mais il ne remet pas en cause l’existence d’une activité des Sages de Yavné à la fin du premier siècle[4].
Boyarin a tendance à fortement minimiser les traces possibles d’une lente évolution qui partirait du Yavné réel du premier siècle, un groupe de juifs non dominant dans le paysage juif, et qui aboutirait à une hégémonie lors de la rédaction du Talmud de Babylone.
Nous allons donc focaliser notre attention sur les traces d’un Yavné réel à l’époque tannaïtique, même s’il ne porte pas explicitement ce nom-là, dans la Mishna et la Tosefta, afin d’essayer de reconstruire l’histoire de la bénédiction des Minim.