vendredi 24 août 2012

Les téfilines écrites en forme arrondie et l'abrogation de la récitation des Dix commandements


L'article qui suit est un extrait de mon mémoire de Master 2 sur les Minim (hérétiques) à l'époque tannïtique (0-250 de l'ère chrétienne). Il s'inscrit dans une recherche plus vaste sur la description des pratiques et des doctrines qualifiées d'hérétiques par le judaïsme rabbinique. Il me semble que ces données peuvent éclairer tant le juif que le chrétien sur une partie commune de leur histoire.

Un texte de la Mishna traite du port des tefilin, (sur la tête et sur le bras) et le fait de « faire des tefilin rondes », suivant la halakha des uns et des autres. Placer la tefila (singulier de tefilin, phylactères) de la tête strictement entre les yeux (et non sur le front) et celle du bras strictement sur la main (et non attachée au bras), comme préconisé dans le texte du Deutéronome, est caractéristique d’une lecture plus littérale que celle des Sages ou en tous cas qui s’appuie sur une tradition d’interprétation différente.
מגילה ד,ח
האומר. איני עובר לפני התיבה בצבועים. אף בלבנים לא יעבור. בסנדל איני עובר. אף יחף לא יעבור. העושה תפילתו עגולה סכנה מפני שאין בה מצוה. נתנה על מצחו או על פס ידו הרי זו דרך המינות. ציפה זהב ונתנה על בית יד של(י)נוקלו הרי זו דרך החצונים.
Mishna Megila 4,8
Celui qui dit : « je ne passe pas devant l’arche en (vêtements de) couleurs », même en blanc, ne récitera pas. « En sandales, je ne passe pas ». Même pieds nus il ne passera pas. Celui qui fait ses tefillin en forme arrondie, il y a danger, car cela n'est pas un commandement. S'il les a posés sur le front et sur la paume de la main, c'est une pratique de minut.
Si son fil est d'or et qu'elle est placée dans la manche du sous-vêtement, c'est une pratique des extérieurs (hérétiques).[1]


mardi 14 août 2012

Daniel Boyarin – la Partition du judaïsme et du christianisme (Borderlines).

Cette revue synthétise les principales thèses du livre de Daniel Boyarin.

I - Les débuts hérésiologiques du judaïsme et du christianisme

Boyarin revisite le phénomène de partition du judaïsme et du christianisme en tenant compte d’un certain nombre d’hypothèses communément admises qui lui permettent de remettre en cause l’idée traditionnelle d’une séparation des deux religions à l’époque de Yavné. En effet, il considère, à la suite de Neusner et de plusieurs autres critiques de la littérature rabbinique ancienne et à l’inverse de la plupart des chercheurs précédents, que les récits rabbiniques ne sont pas historiques, mais ne peuvent refléter qu’un état certain de l’histoire au moment de leur composition. Dans cette perspective, le phénomène appelé couramment « Concile de Yavné » devient une projection historique du IVe siècle sur le premier siècle.


Jean-Christophe Attias, penser le judaïsme (revue)

Dans « penser le judaïsme », Jean-Christophe Attias présente un panorama très varié d’articles sur le judaïsme, qu’il s’agisse de présentations générales ou de recherches ciblées, et regroupés selon trois séries : territoires, frontières, silences.

« Les études juives sont-elles une affaire juive ? » A partir de cette première phrase du chapitre d'introduction du livre, Attias passe en revue les tentatives de présentation du judaïsme à divers types de publics juifs et non juifs depuis Léon de Modène (1571-1648) jusqu’à l’époque moderne et en déduit qu'il n'existe pas de neutralité possible. Beaucoup tentent la description d'un judaïsme avenant, tolérable pour les chrétiens, rationnel et plus biblique que talmudique. Des pans problématiques du judaïsme sont souvent expurgés, en particulier dans l'Allemagne du XIXe siècle qui pare le judaïsme de méthodes scientifiques et modernes qui contiennent en définitive un fort aspect promotionnel. Il n'existe pas de tour d'ivoire philologique dans les études juives : penser le judaïsme c'est aussi avoir le souci du judaïsme car c'est s'inscrire dans une temporalité non neutre. Dans ce chapitre d'introduction, Attias situe sa démarche : une démarche de type universitaire consciente de ses limites et s'inscrivant dans un contexte, celui du judaïsme français, mais qui ne s'interdit pas un engagement sur des questions sociétales et politiques. Le judaïsme y est envisagé comme un fait culturel global : littéraire, esthétique, social, politique et non simplement religieux.


samedi 14 juillet 2012

Lorsque Paul Auvray voulait révolutionner l'enseignement de l'hébreu biblique


Paul Auvray, prêtre de l'Oratoire, est certainement l'un des meilleurs spécialistes d'hébreu biblique et exégète français du XXe siècle. Membre du comité de direction de la Bible de Jérusalem, traducteur d'Isaïe et d'Ezéchiel, il a aussi écrit une "Initiation à l'hébreu biblique" qui prenait la poussière sur l'une des étagères du fond de la bibliothèque de mon lycée et avec laquelle j'ai fait mes premiers pas d'hébreu.

"L'hébreu est une langue facile"... ainsi commence l'Initiation de Paul Auvray, éditée en 1954 et dans laquelle il écrit (en conclusion) : "L'étude notamment du néo-hébreu parlé en Israël, si elle ne lui [à l'étudiant] fournit pas un approfondissement sensible de sa science linguistique, lui procurera une certaine aisance dans le maniement du vocabulaire hébreu et de la syntaxe courante".

Plus récemment, j'ai lu un petit fascicule, de Paul Auvray également, intitulé simplement "L'hébreu biblique", édité en 1961 et dont l'avant-dernier chapitre est consacré, d'une façon un peu suprenante, à l'hébreu moderne. Après un résumé de l'histoire de la renaissance de l'hébreu par Ben Yehouda et une description des principales différences entre hébreu biblique et ce qu'il appelle le "néo-hébreu", Paul Auvray écrit deux paragraphes à mon avis très visionnaires et qui n'ont pas encore porté leur fruit.

Je ne résiste pas à l'envie de vous en recopier quelques phrases.

Dans le paragraphe "ne nous hâtons pas de condamner" (p. 73) :
"Il est certain que l'hébreu moderne a conservé intacts nombre d'éléments du patrimoine ancien. [...] cela est si vrai que l'on passe de l'hébreu moderne à l'hébreu biblique presque sans effort. A culture égale, l'Israélien moyen n'est pas plus dépaysé devant Isaïe ou le livre des Rois que son homologue Français en présence de Marot ou de Montaigne. Que l'on puisse ainsi enjamber vingt-huit siècles presque sans s'en apercevoir, c'est tout de même une réussite."

Dans le paragraphe : "une révolution dans l'enseignement ?" (p. 73) :

"Mais alors un grave cas de conscience se pose à nombre d'hébraïsants, notamment aux professeurs : dans ces conditions, pour initier des jeunes à l'hébreu ancien, pour leur apprendre à lire la Bible, la méthode la plus simple et la plus efficace ne serait-elle pas de leur enseigner l'hébreu moderne ?

Sans doute, l'idée est séduisante. Pour la plupart des gens, une langue vivante s'acquiert beaucoup plus aisément qu'une langue morte. Un voyage un peu prolongé en Israël, un séjour de quelques semaines dans un oulpan, et voilà acquis et assimilés les rudiments d'une langue réputée difficile. Sans doute, tout le monde ne peut pas se payer un voyage en Israël, mais pour les autres il y a les disques, la radio, la conversation et toutes les industries de la méthode directe. Un enfant, un jeune homme apprendront en se jouant des notions qu'ils assimileraient difficilement, à l'aide de livre à l'allure rébarbative. Ils acquerront en outre, dans l'utilisation de l'hébreu, une aisance à laquelle jamais ne parviendrait un hébraïsant formé par les méthodes traditionnelles.

Voilà la thèse. Il reste cependant que l'on a scrupule à enseigner des tournures et une syntaxe d'hébreu moderne, qu'il faudra désapprendre ensuite pour lire les livres anciens. Il reste encore et surtout que l'on hésite à charger de fragiles mémoires d'un lourd vocabulaire inutile. A quoi bon - à moins que l'on ne prépare un voyage en Israël - à quoi bon apprendre comment on dit "avion", "chemin de fer", "désintégration" ou "psychanalsye", puisqu'on ne rencontrera jamais ces mots dans la Bible ? Et n'y a-t-il pas même un danger à faire de hashmal l'électricité et de kissé une chaise ?

Bref, on reste perplexe. Mais il faut avouer que l'aventure ne manque pas d'attrait. Beaucoup, déjà, l'ont tentée et se sont déclarés satisfaits. Il paraît bien que le néo-hébreu gagne du terrain.

On dit que Caton octogénaire se mit à apprendre le grec. Peut-être de vieux professeurs, longtemps réfractaires aux nouvelles méthodes, finiront-ils par se metter à l'hébreu moderne."

Paul Auvray présente son idée novatrice sous forme d'une question "une révolution dans l'enseignement ?". Je suis persuadé qu'il est convaincu de la méthode et qu'il questionne avant tout un milieu catholique d'avant le Concile Vatican II ancré dans ses certitudes, encore très marqué par l'enseignement du mépris envers les Juifs et une vision très hostile du retour du peuple d'Israël sur sa terre.

Soixante ans après, la suggestion de Paul Auvray n'a pourtant pas perdu de sa fraîcheur et puisque, dans les milieux chrétiens, on enseigne toujours l'hébreu comme une langue morte.

mardi 17 avril 2012

Isaïe 30,20 morekha מוריך

Question
וְנָתַן לָכֶם אֲדֹנָי לֶחֶם צָר וּמַיִם לָחַץ וְלֹֽא־יִכָּנֵף עֹוד מֹורֶיךָ וְהָיוּ עֵינֶיךָ רֹאֹות אֶת־מֹורֶֽיךָ׃
Instruire et cacher sont-ils tous les deux au pluriel ? Ou y aurait-il une allusion à Dieu en tant qu'instructeur avec un pluriel au sujet du Créateur 

Réponse
Le Seigneur vous donnera
לחם צר
le pain de l'angoisse
ומים לחץ
et l'eau de l'oppression
ולא יכנף עוד מוריך
et il ne sera pas couvert (d'une aile) à nouveau celui qui t'enseigne.
Effectivement, מוריך est une forme plurielle, à cause du yod. On serait en droit d'attendre מורך, avecMais tout de même le verbe est au singulier. Il est probable que ce yod soit là pour distinguer morékha de morkha, car mor מור, c'est aussi la myrrhe.
והיו עיניך ראות את מוריך
et tes yeux verront celui qui t'enseigne.

En termes de matres lectionnis, le texte biblique ne suit pas toujours la "règle" officielle de grammaire. Ces règles ont été élaborées par la suite, notamment au Moyen Age, mais le texte biblique est truffé de nombreuses exceptions. En l'occurence pour morekha, il n'y a pas d'autre occurence dans la bible ni avec l'orthographe מורך ni avec מוריך.

De plus, ce mot employé moreh comme NOM commun signifiant "enseignant", "maître" semble tardif.
Il faut éplucher la liste des occurences de מורה dans la Bible (cf en fin d'article).

Outre que la même orthographe signifie aussi morah le rasoir, on trouve plus souvent moreh comme participe présent "en train d'enseigner" avec un COD derrière, ou bien dans l'expression סורר ומורה rebelle et indocile, Dt + Jérémie.

Le verset suivant : Job 36,22 הן אל ישגיב בכחו מי כמהו מורה semble le seul a attester מורה comme nom commun et non comme participe présent... et encore, cela peut se discuter.

L'occurence de ce mot מורה avec un suffixe est donc un hapax total. Il est donc difficile d'en déduire que ce mot a un comportement bizarre car les seuls points de comparaisons que nous avons sont avec des stades utlérieurs de la langue, ou du moins, attestés ultérieurement. Il semble cependant que les rabbins des premiers siècles y aient vu une anomalie grammaticale à exploiter midrashiquement.

En tous cas, le targum Yonathan nous donne une curieuse interprétation de ce verset d'Isaïe (cf. [cal1.cn.huc.edu]) :

וְיִתֵן לְכוֹן יוי יָת נִכסֵי סָנְאָה
Dieu vous donnera les biens de la haine
וּבִיזַת מָעִיקָא
????
וְלָא יְסַלֵיק עוֹד שְכִינְתֵיה מִבֵית מַקדְשָא
et la Shekhina ne sortira plus du Beth Ha-miqdash (le Temple)
וְיִהוְייָן עֵינָך חָזיָן יָת שְכִינְתָא בְבֵי
מַקדְשָא׃
Et tes yeux verront la Shekhina dans le Beth ha-miqdash (le Temple).

Autant dire toute de suite que מורה moreh est mis en relation directe avec מוריה morya, le mon Moriah où Abraham s'en va sacrifier Isaac, qui n'est autre que la montagne du Temple.

Preuve que cet histoire de מוריך morekha a donné du fil à retordre aux rabbins depuis toujours.

Encore une possibilité donnée par Daat Miqra : מורה serait un des noms de Dieu et serait donc mis au pluriel de majesté, un peu comme adonay, אדניך "ton Seigneur" ou אלהיך "ton Dieu".

cf. Psaumes 25,8 : טוב וישר יהוה על כן יורה חטאים בדרך
bon et droit est YHWH, c'est pourquoi il conduit les méchants sur le (bon) chemin.

Le dagesh léger dans le psaume 150

Bernard : Lors d'une étude dans le cercle hébraïsant dont je fais parti, il nous est apparu dans le psaume 150 que la règle du dagesh dans les begatkefat n'était pas suivie. Voir pour ceux qui connaissent la cantilation. En fait il existe 2 versions qui ne gardent pas les mêmes cantilations.
Quelqu'un connaitrait il la réponse?


Nicolas : de quels dagesh parlez-vous ? S'agit-il des beth qui suivent halleluhu ?
- ici הללוהו בגבורתיו et là הַללוהו בתף on a un beth sans dagesh
- alors que pour הַללוהו בתקע on a un beth avec dagesh.
Est-ce ceci qui fait l'objet de votre question ?

Bernard : Exactement !

En fait on retrouve une syllabe longue accentuée dans l'un donc pas de dagesh

et en regardant plus loin, on trouve '( étonnant!) une syllabe longue non acentuée et là, on a toujours pas de dagesh dans le beth. Curieux..


Nicolas : OK.

D'abord rappelons brièvement le principe du dagesh léger. Les lettres בג"ד כפ"ת ont une prononciation soit explosive (dure) soit fricative (molle). Linguistiquement cela correspond au fait que lorsqu'un syllabe commence on fait l'effort d'articuler le son, alors que lorsque la consonne clôt la syllabe, l'appareil phonatoire est plus feignant et c'est alors la prononciation "plus facile", fricative qui sort. Ainsi P demande plus d'efforts que F. D'où le fait que la consonne פ représente à la fois les deux sons : intialement il représentait uniquement P, puis par paresse, il devient F dans certains cas. Il s'agit là de l'explication linguistique du pourquoi des begadkefat.

Mais c'est très important à comprendre car l'idée est donc bien que lorsque je commence une syllabe, je prononce le lettre de manière explosive. Maintenant, il faut comprendre la logique du texte biblique : lorsque deux mots sont liés ensembles par un accent conjonctif (qui réunit les mots, en quelque sorte), le groupe de mot est à considérer comme ne faisant qu'un. Ainsi, si un mot se termine par une syllabe dite ouverte, donc par une voyelle, la consonne du mot suivant qui est liée peut alors être considérée comme fermant la syllabe ouverte.

A la lumière de cette règle, on comprend pourquoi certains mots comportent un dagesh léger (prononciation explosive) ou pas :
- הללוהו בגבורתיו halleluhu vigvurotav : les deux mots sont liés par un accent conjonctif, le beth est donc fricatif
- en revanche dans הללוהו כרב גדלו on a un accent disjonctif sur הללוהו ce qui le sépare des deux mots suivants, on met donc un datesh léger dans le kaf.
- pour הללוהו בתקע שופר on a un accent également disjonctif sur הללוהו, donc dagesh dans le beth de beteqa'.
- au verset 4, dans הללוהו בתף ומחול on a également un accent disjonctif sur הללוהו, on devrait donc avoir un beth explosif. C'est là que le codex de Leningrad est fautif en omettant le dagesh et le Codex d'Alep correct en plaçant un.

Ci après, une comparaison des deux manuscrits, Alep et Leningrad, pour le Ps 150. Cela démontre une fois de plus la qualité du codex d'Alep par rapport au codex de Leningrad qui est une copie du premier.(cliquer sur l'image pour l'agrandir)
 

Etymologies de Yoash (Joas) dans Amos 1

Et voilà la réponse donnée à l'époque :

"encore un coup de Daat Mikra... il fallait trouver sur quel verset il y a l'explication du nom : 1 Chroniques 3,11 :
יואש: עניינו של השם הוא: ה' נתן (או יתן) כמשמעות שורש 'אוש' בערבית ובארמית. ויש אומרים שעניינו של 'אוש' הוא 'אִש' במשמעות של גבר חזק. ולפי זה עניינו של 'יואש' ושל 'יהואש' הוא: ה' הוא חזק. והשם יואש מצוי הרבה בישראל בכל התקופות
"
et plus loin

"Pour אוש il s'agit visiblement d'une racine araméenne / arabe, donc pas dans Even Shoshan..."

retrouvée grâce au site www.archive.org qui retrace tout le web, voici la discussion d'origine :
[web.archive.org]

Donc deux possibilités : Oush, racine araméenne / arabe signifier "donner", soit de Ish, un homme, sous entendu, un homme fort, un guerrier

Question de Bernard : Pour ma part, alors j'ai tout faux car j'ai cherché au début pensant qu'il s'agissait d'un participe actif , mais la phonétique serait du genre 'oè" et non "oa'.
Du coup, celà aurait donné la racine du verbe désespérer

Par ailleurs, l'époque de l"écrtiure du texte permet elle de dire que celà vient de l'arabe. Pourquoi un nom en araméen ou arabe surgirait il d'un coup au milieu d'un texte en hébreu


Réponse de Nicolas : Bonjour Bernard,

désespérer serait plutôt יאש, l'hébreu actuel a conservé l'idée d'être fort (racine איש "homme") dans le verbe אושש
Je comprends votre idée de yoash comme pu'al (passif) correspondant au piel (actif) יֵאֵשׁ désespéré. Avec la seconde radicale étant gutturale qui transforme le ou en o à cause de l'impossibilité du redoublement.

Mais l'idée de l'analyse étymologique du nom effectuée par daat miqra est que yo יו représente le tétragramme simplifié (יהו yeho), comme dans beaucoup d'autres noms : yonathan, yehoshua, yokheved...

Vous écrivez : "Par ailleurs, l'époque de l"écrtiure du texte permet elle de dire que celà vient de l'arabe. Pourquoi un nom en araméen ou arabe surgirait il d'un coup au milieu d'un texte en hébreu? "

Votre remarque est très juste. On ne peut pas dire que Yoash vient de l'arabe ou de l'araméen. Je ne crois pas que ce soit l'idée exprimée par daat miqra. Je ne suis pas expert en linguistique comparée des langues sémitique, mais je vais essayer de dire comment je comprends les choses.
D'abord, il est intéressant de comprendre comment les chercheurs conceptualisent les liens entres les langues dites "sémitiques" : [fr.wikipedia.org]
Si l'on a ce schéma en tête, on peut imaginer qu'une racine du sémitique commun se soit répandue dans les langues filles. Lorsqu'on est face à un mot en hébreu ancien dont on a perdu la signification, on peut tenter de comparer sa racine à des racines présentes dans d'autres langues sémitiques. En effet, le vocabulaire présent dans la Bible est restreint. On peut penser qu'il n'est qu'un échantillon d'une langue plus vaste dont nous n'auros jamais la connaissance, et donc de ce fait que des mots hypothétiques existaient, fondés sur des racines issus du sémitique commun. On fait donc l'hypothèse de dire que ces racines ont été transmises à la fois à l'hébreu et à d'autres langues sémitiques anciennes ou actuelles. Naturellement, il faut avoir étudié à partir de mots connus le processus linguistique de transmission des racines d'une langue à l'autre. Mais de ce fait, du fait qu'une racine existe en arabe ou en araméen, on peut supposer son existence en hébreu, même si elle n'est pas attestée dans un exemple où l'on ne peut confirmer son sens.
 

Genèse 2,15 Gan, le jardin

וַיִּקַּ֛ח יְהוָ֥ה אֱלֹהִ֖ים אֶת־ הָֽאָדָ֑ם וַיַּנִּחֵ֣הוּ בְגַן־ עֵ֔דֶן לְעָבְדָ֖הּ וּלְשָׁמְרָֽהּ
Le mot גן gan, jardin peut être parfois masculin, parfois féminin.
Rachi ne dit rien de cette subtilité, mais lisez le commentaire d'Ibn Ezra : il mentionne que le mot גן fait son pluriel en masculin גנים ganim en Cantique 4,15 (שיר השירים ד' ט"ו) et en féminin גנות ganot en Jérémie 29, 5 (ירמיהו כ"ט ה). Il dit aussi en substance que la logique veut qu'il s'agisse du jardin et non de la terre tout entière, car le jardin correspond à l'endroit où l'on fait pousser les fruits, or à ce stade (avant le péché), il n'a pas encore été ordonné à l'homme de manger les plantes elles-mêmes (עשב השדה les plantes des champs, telle que les céréales), seulement de manger les fruits du jardin. Ibn Ezra dit que "le travailler" (le jardin) signifie l'arroser, et que "le garder" signifie éloigner les bêtes sauvages pour qu'elles ne mangent pas les fruits.

Le daguesh fort dans le mot Hanoukka et le mot Soukka

Le dagesh du mot hanuka est un dagesh fort qui fait partie du schème du nom. Le dagesh fort ne fait jamais partie de la racine à proprement parlé, mais bien du schème (du moule) qui décline la racine, qu'il s'agisse de verbes, de noms, d'adjectifs ou autres.
Par exemple, la forme kal du verbe n'a pas de dagesh, le piel possède un dagesh fort dans la seconde radicale... ici pour חנוכה on se trouve en présence d'un schème de nom qui est : X sheva X qubbutz X avec dagesh kamatz hé final.

Exemple de quelques mots bâtis sur ce schème :

קְטֻלָּה: נְקֻדָּה, עֲמֻתָּה, חֲנֻכָּה

Ils portent tous un dagesh fort dans la dernière radicale.

Au passage, notez que le féminin des adjectifs bâtis sur le schème X kamatz X holam X tel que אָרׂך (long) ou presque toutes les couleurs (sauf blanc) font leur féminin sur le même schème que le nom hanuka, avec un dagesh fort dans la dernière radicale. On a ainsi צהוב tzahov, צהובה tzehuba et שחור sha'hor et שחורה she'hora, le kubbutz devenant holam pour compenser l'impossibilité de redoublement dans le resh.


Pour ce qui est de sukka, סֻכָּה il s'agit également d'un dagesh fort, mais la démonstration est un peu plus compliquée. Le schème original est celui de קֻטְלָה: חֻלְדָּה, עֻבְדָּה (où les dagesh dans les dalets de hu'lda et "uvda sont des dagesh légérs, je précise), mais appliqué à une racine géminée (doublement de la seconde radicale) qui est ס.כ.כ signifiant "cacher". C'est cette gémination qui produit la création du dagesh fort. En effet, si on applique le schème à la racine סככ on obtient סֻכְכָּה qui est une forme impossible, d'où סֻכְּכָּה et finalement סֻכָּה

Source : [he.wikipedia.org]

Moab

Question : "J'ai une définition de MOAB qui me dit : "issu d'un père"

Or, j'ai appris que la préposition min placée avant une gutturale ( ici le alef), le mi devenait mè . Ici on rencontre "Mo".

Est-ce une grammaire d'origine chaldéenne ou araméenne? Ou est-ce une exception ?"


Réponse : je ne crois pas qu'il faille chercher une quelconque cohérence des voyelles de Moab. Il est évident que "du père" se dit מאב me'av, mais si l'on réunit ces trois lettres, on trouve la racine de מואב mo'av. Cela correspond aux circonstances dans lesquelles Lot engendre ce fils par inceste avec l'une de ces deux filles qui affichent leur intention à deux reprises (Gn 19, versets 33 et 35) : ונחיה מאבינו זרע "et nous susciteront une descendance de notre père". On peut parler d'une étymologie de type "populaire" et non savante : le peuple moabite est défini à partir de l'histoire peu glorieuse de Lot et de ses filles qui ont donné naissance à quelqu'un, Moab qui est le père de ce peuple.
Abraham Ibn Ezra donne ce commentaire : מאוב, כמו מאב Moab, comme "du père". Idem pour David Kimhi, Yossef Bekhor Shor, Ralbag fait aussi référence aux deux verset cités ci-dessus. On trouve donc un certain consensus sur ce sujet chez les commentateurs médiévaux, ce qui est normal puisque le Midrash Rabba (51,11) dit aussi שמו מאוב מאב son nom Moab, du père.

Le commentaire moderne Daat Miqra propose une étymologie plus savante. מואב serait en fait composé de מי-אב mey-av, les eaux du père (la semence du père). On trouve en effet cet emploi des eaux pour désigner la semence dans Is 48,1 : וממי יהודה יצאו "ils sortirent des eaux de Juda". Le targum Yonathan de ce verset d'Isaïe traduit d'ailleurs par מזרעית יהודה (proche de זרע en hébreu, semence), qui signifie donc, de la semence / de la famille de Juda.