mardi 17 avril 2012

Isaïe 30,20 morekha מוריך

Question
וְנָתַן לָכֶם אֲדֹנָי לֶחֶם צָר וּמַיִם לָחַץ וְלֹֽא־יִכָּנֵף עֹוד מֹורֶיךָ וְהָיוּ עֵינֶיךָ רֹאֹות אֶת־מֹורֶֽיךָ׃
Instruire et cacher sont-ils tous les deux au pluriel ? Ou y aurait-il une allusion à Dieu en tant qu'instructeur avec un pluriel au sujet du Créateur 

Réponse
Le Seigneur vous donnera
לחם צר
le pain de l'angoisse
ומים לחץ
et l'eau de l'oppression
ולא יכנף עוד מוריך
et il ne sera pas couvert (d'une aile) à nouveau celui qui t'enseigne.
Effectivement, מוריך est une forme plurielle, à cause du yod. On serait en droit d'attendre מורך, avecMais tout de même le verbe est au singulier. Il est probable que ce yod soit là pour distinguer morékha de morkha, car mor מור, c'est aussi la myrrhe.
והיו עיניך ראות את מוריך
et tes yeux verront celui qui t'enseigne.

En termes de matres lectionnis, le texte biblique ne suit pas toujours la "règle" officielle de grammaire. Ces règles ont été élaborées par la suite, notamment au Moyen Age, mais le texte biblique est truffé de nombreuses exceptions. En l'occurence pour morekha, il n'y a pas d'autre occurence dans la bible ni avec l'orthographe מורך ni avec מוריך.

De plus, ce mot employé moreh comme NOM commun signifiant "enseignant", "maître" semble tardif.
Il faut éplucher la liste des occurences de מורה dans la Bible (cf en fin d'article).

Outre que la même orthographe signifie aussi morah le rasoir, on trouve plus souvent moreh comme participe présent "en train d'enseigner" avec un COD derrière, ou bien dans l'expression סורר ומורה rebelle et indocile, Dt + Jérémie.

Le verset suivant : Job 36,22 הן אל ישגיב בכחו מי כמהו מורה semble le seul a attester מורה comme nom commun et non comme participe présent... et encore, cela peut se discuter.

L'occurence de ce mot מורה avec un suffixe est donc un hapax total. Il est donc difficile d'en déduire que ce mot a un comportement bizarre car les seuls points de comparaisons que nous avons sont avec des stades utlérieurs de la langue, ou du moins, attestés ultérieurement. Il semble cependant que les rabbins des premiers siècles y aient vu une anomalie grammaticale à exploiter midrashiquement.

En tous cas, le targum Yonathan nous donne une curieuse interprétation de ce verset d'Isaïe (cf. [cal1.cn.huc.edu]) :

וְיִתֵן לְכוֹן יוי יָת נִכסֵי סָנְאָה
Dieu vous donnera les biens de la haine
וּבִיזַת מָעִיקָא
????
וְלָא יְסַלֵיק עוֹד שְכִינְתֵיה מִבֵית מַקדְשָא
et la Shekhina ne sortira plus du Beth Ha-miqdash (le Temple)
וְיִהוְייָן עֵינָך חָזיָן יָת שְכִינְתָא בְבֵי
מַקדְשָא׃
Et tes yeux verront la Shekhina dans le Beth ha-miqdash (le Temple).

Autant dire toute de suite que מורה moreh est mis en relation directe avec מוריה morya, le mon Moriah où Abraham s'en va sacrifier Isaac, qui n'est autre que la montagne du Temple.

Preuve que cet histoire de מוריך morekha a donné du fil à retordre aux rabbins depuis toujours.

Encore une possibilité donnée par Daat Miqra : מורה serait un des noms de Dieu et serait donc mis au pluriel de majesté, un peu comme adonay, אדניך "ton Seigneur" ou אלהיך "ton Dieu".

cf. Psaumes 25,8 : טוב וישר יהוה על כן יורה חטאים בדרך
bon et droit est YHWH, c'est pourquoi il conduit les méchants sur le (bon) chemin.

Le dagesh léger dans le psaume 150

Bernard : Lors d'une étude dans le cercle hébraïsant dont je fais parti, il nous est apparu dans le psaume 150 que la règle du dagesh dans les begatkefat n'était pas suivie. Voir pour ceux qui connaissent la cantilation. En fait il existe 2 versions qui ne gardent pas les mêmes cantilations.
Quelqu'un connaitrait il la réponse?


Nicolas : de quels dagesh parlez-vous ? S'agit-il des beth qui suivent halleluhu ?
- ici הללוהו בגבורתיו et là הַללוהו בתף on a un beth sans dagesh
- alors que pour הַללוהו בתקע on a un beth avec dagesh.
Est-ce ceci qui fait l'objet de votre question ?

Bernard : Exactement !

En fait on retrouve une syllabe longue accentuée dans l'un donc pas de dagesh

et en regardant plus loin, on trouve '( étonnant!) une syllabe longue non acentuée et là, on a toujours pas de dagesh dans le beth. Curieux..


Nicolas : OK.

D'abord rappelons brièvement le principe du dagesh léger. Les lettres בג"ד כפ"ת ont une prononciation soit explosive (dure) soit fricative (molle). Linguistiquement cela correspond au fait que lorsqu'un syllabe commence on fait l'effort d'articuler le son, alors que lorsque la consonne clôt la syllabe, l'appareil phonatoire est plus feignant et c'est alors la prononciation "plus facile", fricative qui sort. Ainsi P demande plus d'efforts que F. D'où le fait que la consonne פ représente à la fois les deux sons : intialement il représentait uniquement P, puis par paresse, il devient F dans certains cas. Il s'agit là de l'explication linguistique du pourquoi des begadkefat.

Mais c'est très important à comprendre car l'idée est donc bien que lorsque je commence une syllabe, je prononce le lettre de manière explosive. Maintenant, il faut comprendre la logique du texte biblique : lorsque deux mots sont liés ensembles par un accent conjonctif (qui réunit les mots, en quelque sorte), le groupe de mot est à considérer comme ne faisant qu'un. Ainsi, si un mot se termine par une syllabe dite ouverte, donc par une voyelle, la consonne du mot suivant qui est liée peut alors être considérée comme fermant la syllabe ouverte.

A la lumière de cette règle, on comprend pourquoi certains mots comportent un dagesh léger (prononciation explosive) ou pas :
- הללוהו בגבורתיו halleluhu vigvurotav : les deux mots sont liés par un accent conjonctif, le beth est donc fricatif
- en revanche dans הללוהו כרב גדלו on a un accent disjonctif sur הללוהו ce qui le sépare des deux mots suivants, on met donc un datesh léger dans le kaf.
- pour הללוהו בתקע שופר on a un accent également disjonctif sur הללוהו, donc dagesh dans le beth de beteqa'.
- au verset 4, dans הללוהו בתף ומחול on a également un accent disjonctif sur הללוהו, on devrait donc avoir un beth explosif. C'est là que le codex de Leningrad est fautif en omettant le dagesh et le Codex d'Alep correct en plaçant un.

Ci après, une comparaison des deux manuscrits, Alep et Leningrad, pour le Ps 150. Cela démontre une fois de plus la qualité du codex d'Alep par rapport au codex de Leningrad qui est une copie du premier.(cliquer sur l'image pour l'agrandir)
 

Etymologies de Yoash (Joas) dans Amos 1

Et voilà la réponse donnée à l'époque :

"encore un coup de Daat Mikra... il fallait trouver sur quel verset il y a l'explication du nom : 1 Chroniques 3,11 :
יואש: עניינו של השם הוא: ה' נתן (או יתן) כמשמעות שורש 'אוש' בערבית ובארמית. ויש אומרים שעניינו של 'אוש' הוא 'אִש' במשמעות של גבר חזק. ולפי זה עניינו של 'יואש' ושל 'יהואש' הוא: ה' הוא חזק. והשם יואש מצוי הרבה בישראל בכל התקופות
"
et plus loin

"Pour אוש il s'agit visiblement d'une racine araméenne / arabe, donc pas dans Even Shoshan..."

retrouvée grâce au site www.archive.org qui retrace tout le web, voici la discussion d'origine :
[web.archive.org]

Donc deux possibilités : Oush, racine araméenne / arabe signifier "donner", soit de Ish, un homme, sous entendu, un homme fort, un guerrier

Question de Bernard : Pour ma part, alors j'ai tout faux car j'ai cherché au début pensant qu'il s'agissait d'un participe actif , mais la phonétique serait du genre 'oè" et non "oa'.
Du coup, celà aurait donné la racine du verbe désespérer

Par ailleurs, l'époque de l"écrtiure du texte permet elle de dire que celà vient de l'arabe. Pourquoi un nom en araméen ou arabe surgirait il d'un coup au milieu d'un texte en hébreu


Réponse de Nicolas : Bonjour Bernard,

désespérer serait plutôt יאש, l'hébreu actuel a conservé l'idée d'être fort (racine איש "homme") dans le verbe אושש
Je comprends votre idée de yoash comme pu'al (passif) correspondant au piel (actif) יֵאֵשׁ désespéré. Avec la seconde radicale étant gutturale qui transforme le ou en o à cause de l'impossibilité du redoublement.

Mais l'idée de l'analyse étymologique du nom effectuée par daat miqra est que yo יו représente le tétragramme simplifié (יהו yeho), comme dans beaucoup d'autres noms : yonathan, yehoshua, yokheved...

Vous écrivez : "Par ailleurs, l'époque de l"écrtiure du texte permet elle de dire que celà vient de l'arabe. Pourquoi un nom en araméen ou arabe surgirait il d'un coup au milieu d'un texte en hébreu? "

Votre remarque est très juste. On ne peut pas dire que Yoash vient de l'arabe ou de l'araméen. Je ne crois pas que ce soit l'idée exprimée par daat miqra. Je ne suis pas expert en linguistique comparée des langues sémitique, mais je vais essayer de dire comment je comprends les choses.
D'abord, il est intéressant de comprendre comment les chercheurs conceptualisent les liens entres les langues dites "sémitiques" : [fr.wikipedia.org]
Si l'on a ce schéma en tête, on peut imaginer qu'une racine du sémitique commun se soit répandue dans les langues filles. Lorsqu'on est face à un mot en hébreu ancien dont on a perdu la signification, on peut tenter de comparer sa racine à des racines présentes dans d'autres langues sémitiques. En effet, le vocabulaire présent dans la Bible est restreint. On peut penser qu'il n'est qu'un échantillon d'une langue plus vaste dont nous n'auros jamais la connaissance, et donc de ce fait que des mots hypothétiques existaient, fondés sur des racines issus du sémitique commun. On fait donc l'hypothèse de dire que ces racines ont été transmises à la fois à l'hébreu et à d'autres langues sémitiques anciennes ou actuelles. Naturellement, il faut avoir étudié à partir de mots connus le processus linguistique de transmission des racines d'une langue à l'autre. Mais de ce fait, du fait qu'une racine existe en arabe ou en araméen, on peut supposer son existence en hébreu, même si elle n'est pas attestée dans un exemple où l'on ne peut confirmer son sens.
 

Genèse 2,15 Gan, le jardin

וַיִּקַּ֛ח יְהוָ֥ה אֱלֹהִ֖ים אֶת־ הָֽאָדָ֑ם וַיַּנִּחֵ֣הוּ בְגַן־ עֵ֔דֶן לְעָבְדָ֖הּ וּלְשָׁמְרָֽהּ
Le mot גן gan, jardin peut être parfois masculin, parfois féminin.
Rachi ne dit rien de cette subtilité, mais lisez le commentaire d'Ibn Ezra : il mentionne que le mot גן fait son pluriel en masculin גנים ganim en Cantique 4,15 (שיר השירים ד' ט"ו) et en féminin גנות ganot en Jérémie 29, 5 (ירמיהו כ"ט ה). Il dit aussi en substance que la logique veut qu'il s'agisse du jardin et non de la terre tout entière, car le jardin correspond à l'endroit où l'on fait pousser les fruits, or à ce stade (avant le péché), il n'a pas encore été ordonné à l'homme de manger les plantes elles-mêmes (עשב השדה les plantes des champs, telle que les céréales), seulement de manger les fruits du jardin. Ibn Ezra dit que "le travailler" (le jardin) signifie l'arroser, et que "le garder" signifie éloigner les bêtes sauvages pour qu'elles ne mangent pas les fruits.

Le daguesh fort dans le mot Hanoukka et le mot Soukka

Le dagesh du mot hanuka est un dagesh fort qui fait partie du schème du nom. Le dagesh fort ne fait jamais partie de la racine à proprement parlé, mais bien du schème (du moule) qui décline la racine, qu'il s'agisse de verbes, de noms, d'adjectifs ou autres.
Par exemple, la forme kal du verbe n'a pas de dagesh, le piel possède un dagesh fort dans la seconde radicale... ici pour חנוכה on se trouve en présence d'un schème de nom qui est : X sheva X qubbutz X avec dagesh kamatz hé final.

Exemple de quelques mots bâtis sur ce schème :

קְטֻלָּה: נְקֻדָּה, עֲמֻתָּה, חֲנֻכָּה

Ils portent tous un dagesh fort dans la dernière radicale.

Au passage, notez que le féminin des adjectifs bâtis sur le schème X kamatz X holam X tel que אָרׂך (long) ou presque toutes les couleurs (sauf blanc) font leur féminin sur le même schème que le nom hanuka, avec un dagesh fort dans la dernière radicale. On a ainsi צהוב tzahov, צהובה tzehuba et שחור sha'hor et שחורה she'hora, le kubbutz devenant holam pour compenser l'impossibilité de redoublement dans le resh.


Pour ce qui est de sukka, סֻכָּה il s'agit également d'un dagesh fort, mais la démonstration est un peu plus compliquée. Le schème original est celui de קֻטְלָה: חֻלְדָּה, עֻבְדָּה (où les dagesh dans les dalets de hu'lda et "uvda sont des dagesh légérs, je précise), mais appliqué à une racine géminée (doublement de la seconde radicale) qui est ס.כ.כ signifiant "cacher". C'est cette gémination qui produit la création du dagesh fort. En effet, si on applique le schème à la racine סככ on obtient סֻכְכָּה qui est une forme impossible, d'où סֻכְּכָּה et finalement סֻכָּה

Source : [he.wikipedia.org]

Moab

Question : "J'ai une définition de MOAB qui me dit : "issu d'un père"

Or, j'ai appris que la préposition min placée avant une gutturale ( ici le alef), le mi devenait mè . Ici on rencontre "Mo".

Est-ce une grammaire d'origine chaldéenne ou araméenne? Ou est-ce une exception ?"


Réponse : je ne crois pas qu'il faille chercher une quelconque cohérence des voyelles de Moab. Il est évident que "du père" se dit מאב me'av, mais si l'on réunit ces trois lettres, on trouve la racine de מואב mo'av. Cela correspond aux circonstances dans lesquelles Lot engendre ce fils par inceste avec l'une de ces deux filles qui affichent leur intention à deux reprises (Gn 19, versets 33 et 35) : ונחיה מאבינו זרע "et nous susciteront une descendance de notre père". On peut parler d'une étymologie de type "populaire" et non savante : le peuple moabite est défini à partir de l'histoire peu glorieuse de Lot et de ses filles qui ont donné naissance à quelqu'un, Moab qui est le père de ce peuple.
Abraham Ibn Ezra donne ce commentaire : מאוב, כמו מאב Moab, comme "du père". Idem pour David Kimhi, Yossef Bekhor Shor, Ralbag fait aussi référence aux deux verset cités ci-dessus. On trouve donc un certain consensus sur ce sujet chez les commentateurs médiévaux, ce qui est normal puisque le Midrash Rabba (51,11) dit aussi שמו מאוב מאב son nom Moab, du père.

Le commentaire moderne Daat Miqra propose une étymologie plus savante. מואב serait en fait composé de מי-אב mey-av, les eaux du père (la semence du père). On trouve en effet cet emploi des eaux pour désigner la semence dans Is 48,1 : וממי יהודה יצאו "ils sortirent des eaux de Juda". Le targum Yonathan de ce verset d'Isaïe traduit d'ailleurs par מזרעית יהודה (proche de זרע en hébreu, semence), qui signifie donc, de la semence / de la famille de Juda.