Enjeux actuels autour de la bénédiction des Minim
S’il est vrai que la question des Minim en général suscite
un certain intérêt dans la communauté des chercheurs du judaïsme de l’Antiquité
tardive, la bénédiction des Minim[1],
birkat ha-minim[2],
quant à elle, est un champ de recherche très fréquenté et distinct de la
question générale des Minim. Comprise au début comme une mesure antichrétienne
qui a marqué la rupture entre les deux religions, elle a ensuite été considérée
comme le signe de l’exclusion des synagogues des judéo-chrétiens, c'est-à-dire
des juifs chrétiens – et non des chrétiens tout court, compris dans le sens de
pagano-chrétiens.
Deux textes des deux talmuds, un premier du Bavli (TB
Berakhot 28b) et un second du Yerushalmi (TJ Berakhot 4,3) placent la décision
de la birkat ha-minim à Yavné, mot-clé qui sous-entend
traditionnellement qu’il s’agit de la réorganisation du judaïsme sans Temple
par les rabbins à la fin du premier siècle, par Yohanan ben Zakaï dans un
premier temps, puis par son successeur Rabban Gamaliel de Yavné.
Les récentes allégations de Boyarin[3]
sur ce sujet remettent en question un consensus largement établi d’une
bénédiction des Minim comme institution yavnéenne, compris comme un concile ou
un rassemblement des rabbins qui réorganisa le judaïsme après la destruction du
Temple. En réalité, Boyarin conteste purement et simplement l’existence d’un
Yavné à la fin du premier siècle : « A mon avis, la Yavneh du Bavli
est l’icône de la yeshiva stammaïte. […] ces récits doivent être
interprétés comme mythopoiesis talmudique plutôt que comme une
éventuelle historiographie ou mémoire talmudique de la première période
(tannaïtique) du mouvement rabbinique ». Boyarin adopte donc une posture
radicalement opposée à la vision traditionnelle puisqu’il affirme que Yavné est
un mythe créé par les rédacteurs stammaïtes du Talmud de Babylone.
Shaye Cohen dans son essai sur Yavné a une position plus
nuancée. Il reconnaît certes que les décisions de Yavné n’ont pris effet sur le
judaïsme que progressivement, mais il ne remet pas en cause l’existence d’une
activité des Sages de Yavné à la fin du premier siècle[4].
Boyarin a tendance à fortement minimiser les traces
possibles d’une lente évolution qui partirait du Yavné réel du premier siècle,
un groupe de juifs non dominant dans le paysage juif, et qui aboutirait à une
hégémonie lors de la rédaction du Talmud de Babylone.
Nous allons donc focaliser notre attention sur les traces
d’un Yavné réel à l’époque tannaïtique, même s’il ne porte pas explicitement ce
nom-là, dans la Mishna et la Tosefta, afin d’essayer de reconstruire l’histoire
de la bénédiction des Minim.
Avant de nous lancer dans cette analyse, nous allons
examiner le contexte d’occurrence de cette bénédiction : la prière
communautaire dite à la synagogue.
La récitation de la ‘Amida à la synagogue
Il est difficile de parler de la bénédiction des Minim sans
comprendre la fonction qu’elle est censée occuper dans le contexte de la prière
synagogale.
En effet, si l’on ouvre un siddur actuel, la
bénédiction des Minim est la douzième des « 18 bénédictions », prière
centrale du judaïsme synagogal appelée également ‘Amida, car elle est
récitée debout. Le Talmud[5]
attribue l’origine de cette prière aux Sages de la mythologique Grande
Assemblée (kneset ha-gedola כנסת הגדולה), c'est-à-dire à l’époque du Second
Temple. Mais, comme l’a montré E. Fleischer[6],
il n’a pas existé dans le judaïsme de prière obligatoire communautaire se
déroulant à la synagogue avant la fin du premier siècle. Selon Fleischer, ce
sont les Sages à Yavné qui instituèrent le caractère obligatoire de la prière
et fixèrent, ou tentèrent de fixer, son contenu exact.
Fleischer montre que dans les sources du Second Temple, la
prière juive était personnelle, non obligatoire, sans rituel ni texte défini.
De plus, la synagogue n’était pas un lieu de prière, mais essentiellement de
rassemblement, d’étude et d’ablutions rituelles.
Si l’on peut admettre les conclusions de Fleischer sur
l’absence de prière synagogale avant la fin du premier siècle, il est plus
difficile de mettre en cohérence sa vision de Yavné comme départ d’une ‘Amida
fixée et récitée de manière communautaire avec la vision du Yavné tardif et
mythopoiétique proposée par Boyarin. Nous allons tenter de voir s’il y a un
ajustement possible de ces deux approches.
Il est vrai que la Mishna ne parle pas des Sages de Yavné ou
de leur assemblée. Cependant, sans prononcer le mot Yavné, elle relate bien
l’institution de la prière obligatoire et figée en mentionnant les désaccords
des Sages entre eux sur ce sujet. Le chapitre 4 de Berakhot est consacré à ces
discussions.
En M Berakhot 4,3-4, R. Yehoshua‘, contemporain de Rabban
Gamaliel de Yavné, n’accepte pas le texte complet de la ‘Amida mais lui préfère
un résumé, tandis que Rabbi ‘Aqiva de la génération suivante propose un
compromis : si la prière est familière au récitant, il la récite dans sa
version complète, sinon, dans sa version résumée. Quant à R. Eliézer,
contemporain de R. Gamaliel et R. Yehoshua‘, il s’oppose au caractère fixé du
texte, prétextant que la prière perd ainsi son aspect de supplication
spontanée. Cette dernière assertion illustre bien en quoi consiste la décision
de Rabban Gamaliel : imposer une version unique à une prière qui était
auparavant fluctuante, diversifiée et très dépendante de l’improvisation du
récitant.
On peut remarquer la cohérence de l’évolution entre la
génération de R. Yehoshua et celle de R. ‘Aqiva : la première génération
voit se cristalliser les oppositions, tandis qu’Aqiva propose un compromis
fondé sur le constat que le texte obligatoire de la prière est devenue familier
à un certain nombre.
S’il est donc difficile de parler d’un concile de Yavné
juste après la destruction du Temple, qui aurait réuni les rabbins de cette
génération et qui aurait fixé la ‘Amida comme prière instituée dans les
synagogues, on peut tenter raisonnablement de reconstituer les évènements de la
manière suivante : entre la destruction du Temple et la rédaction de la
Mishna, des Sages juifs, probablement issus de courants différents, mais « doctrinalement
compatibles » tels que les scribes d’une part et les pharisiens d’autre
part[7],
instituent une prière fixe dans les synagogues autrefois dédiées à l’étude, à
la lecture biblique, aux débats et bains rituels. Il n’est pas irrecevable de
penser qu’un tel changement liturgique ait pu se dérouler sur près d’un siècle
et qu’il soit contemporain de l’association des deux hairesis, scribes
et pharisiens. S’il n’y a pas de concile de Yavné dans la Mishna, il y a
cependant une activité qui correspond à ce que les sources talmudiques plus
tardives ont appelé Yavné, comme un nom de code pour parler de cette période de
transformations. Au lieu d’avoir duré quelques années, comme suggéré par les
talmuds, elle aurait duré en réalité pas moins d’un ou deux siècles.
Première mention formelle de la bénédiction des Minim
Les Minim et les Paroshim
Il est certain qu’au moment de la publication de la Mishna,
vers 200, la ‘Amida existe comme pratique synagogale, obligatoire et
communautaire. Cependant, comme le fait remarquer Herford[8],
« il est remarquable que la Mishna passe sous silence le célèbre
changement dans la liturgie opéré par Gamaliel II à Yavné quand la ‘formule
concernant les Minim’ a été fixée ». Il est donc permis, avec Boyarin[9],
de douter de l’existence de cette bénédiction dans la ‘Amida avant le début du
3e siècle, puisque sa toute première mention se trouve dans un texte
de la Tosefta que nous allons examiner.
Notons qu’Elbogen[10]
a vu dans l’intervention de Samuel le Petit une création originale de la
bénédiction des Minim et traduit le mot תיקן, tiqqen de TB Berakhot 28b
par "composer" ou un verbe équivalent montrant qu’il n’y a pas
d’antériorité.
Il est cependant probable qu’il ait existé avant la
bénédiction des Minim une sorte de prototype qui condamnait non pas
explicitement des Minim, mais d’autres groupes du judaïsme du Second Temple. Selon Flusser, une
bénédiction initiale était adressée contre les esséniens[11]. Cette
hypothèse se fonde sur la multiplicité des noms figurants dans les diverses
versions de la birkat ha-minim, מסורות
(informateurs, traîtres), חנפים (hypocrites), רשעים (méchants), מלשינים
(informateurs, traîtres), mais également sur un texte de la Tosefta qui est la
plus ancienne mention de la birkat ha-minim.
תוספתא: ברכות, ג, כה
שמונה-עשרה
ברכות שאמרו חכמים כנגד שמנה-עשרה אזכרות שב"הבו לייי בני אלים". כולל
של מינים בשל פרושין. ושל גרים בשל זקנים. ושל דוד בבונה ירושלם. אם אמר אלו לעצמן
ואילו לעצמן יצא.
T Berakhot 3,25
Les Sages ont établi dix-huit bénédictions en regard des dix-huit mentions
du Psaume 29 "Rendez au Seigneur, ô fils de Dieu". Y compris celle
des Minim en raison des Peroshim. Celle des Prosélytes (ger) en raison des
Anciens. Celle de David en raison du "bâtisseur de Jérusalem". S'il
dit ces premières pour elles-mêmes et les secondes pour elles-mêmes, il est
quitte.
Mimouni
fait un historique des commentaires de ce passage[12]. Il
cite les auteurs ayant proposé la conjecture פושעים« poshe‘im »
au lieu de פרושים « perushim » :
Marmorstein, M. Simon voient dans ces פושעי ישראל
« poshe'ey israel » des chrétiens d'origine juive. Puis F. Manns
propose de conserver פרושים « perushim »
et les identifie aux esséniens sur la base du texte de Qumran 4QMMT (מקצת מעשי התורה). L'idée est que פורשים n''est pas vocalisé perushim, les pharisiens, mais paroshim,
les séparés. C’est aussi l’avis de Flusser[13].
Cette
trouvaille géniale vient de S. Lieberman dans son commentaire de la Tosefta[14].
Lieberman
ne voit aucune raison de réaliser la correction en פושעין poshe‘in car tous les manuscrits
donnent פרושין perushin. Il
est donc impensable selon lui que ce soit une erreur de copie.
Il
propose donc une correction mineure de vocalisation et de lire פרושים, les paroshim (séparés) et non les perushim
(pharisiens), c'est à dire des personnes qui se sont séparées du public et donc
l'existence a précédé l'apparition des Minim. De plus, il cite à l’appui un
certain nombre de textes des sources rabbiniques mentionnant le terme פרוש vocalisé parosh et signifiant
« séparé »[15].
Selon
Liebermann (et tous les autres à sa suite), la bénédiction des Minim ne serait
qu'une mise à jour de la bénédiction existante des paroshim (séparés),
ce que suggère l’emploi du mot תיקן, à la fois corriger
et décréter, dans TB Berakhot 28a.
La birkat ha-minim dans les additions à la ‘Amida pour les jours de jeûne
Il
existe une mention encore plus explicite de la birkat ha-minim dans un
autre texte de la Tosefta qui rapporte une discussion sur les additions à la
‘Amida pour les jeûnes publics (ta’anit).
תוספתא:
תעניות, א, י
או' לפניהן עשרים וארבע ברכות,
שמונה עשרה שבכל יום, ושש היה מוסיף.
שביעית. סמכוס או'. משפיל
הרמים היא ברכת המינין. היכן אומ'. בין גואל לרופא חולים. עונין אמן על כל ברכה
וברכה. תוקעין ומריעין ותוקעין. כך היו נוהגין בגבולין.
T Taanit 1,9-10
On dit vingt-quatre bénédictions, les dix-huit bénédictions quotidiennes et
en ajoute six.
Une septième, Sumkhos dit : "Celui qui abaisse ceux qui
s’élèvent", c’est la bénédiction des Minim. A quel endroit la
prononce-t-on ? Entre (la bénédiction du) rédempteur et (la bénédiction de
celui) qui soigne les malades. On répond « amen ! » à chaque bénédiction. On
sonne (le shofar) teqi‘a (note pleine) teru‘a (trémolo) teqi‘a (note pleine).
Ainsi pratiquait-on dans les territoires périphériques (du Temple).[16]
Le
Sage qui rapport cette tradition est סוּמכוֹס :
Sumkhos ben Yossef (voir TB Shabbat 27b, TJ Berakhot 2,1), éminent disciple de
Rabbi Méir, traditionnellement identifié comme appartenant à la sixième
génération de tannaïm (170-200).
Pour
les jours de jeûnes publics (תענית, ta‘anit)
la ‘Amida comporte un ajout de sept bénédictions supplémentaires.
La
mishna ci-après donne la liste de tous les ajouts qui font chacun référence à
un personnage de l’Histoire d’Israël qui a été exaucé. Cette mention se
positionne donc à la fin du ‘corps’ de la bénédiction normale et juste avant la
ḥatima, la conclusion de la bénédiction, qui commence par ברוך אתה ה barukh ’ata hashem.
La partie changeante de la ḥatima, commeגואל ישראל, go’el israel, ‘rédempteur d’Israël’, ou מכניע זדים, makhnia‘ zedim, ‘qui soumet les
méchants’, est utilisée comme nom identifiant de la bénédiction. Par exemple au
lieu de dire ברכת המינים, birkat
ha-minim, la bénédiction des Minim, ont dit מכניע זדים, makhnia‘ zedim « celui qui soumet les
méchants » pour l’évoquer.
Mishna Ta’anit 2,4
על
הראשונה--הוא אומר מי שענה את אברהם בהר המורייה, הוא יענה אתכם וישמע קול צעקתכם ביום הזה; ברוך אתה ה' גואל ישראל.
ל
השנייה--הוא אומר מי שענה את אבותיכם על ים סוף, הוא יענה אתכם וישמע בקול צעקתכם ביום הזה; ברוך אתה ה' זוכר הנשכחות.
על
השלישית--הוא אומר מי שענה את יהושוע בגלגל, הוא יענה אתכם וישמע בקול צעקתכם ביום הזה; ברוך אתה ה' שומע תרועה.
על
הרביעית--הוא אומר מי שענה את שמואל במצפה, הוא יענה אתכם וישמע בקול צעקתכם ביום הזה; ברוך אתה ה' שומע צעקה.
על החמישית--הוא אומר מי שענה את אליהו בהר הכרמל, הוא יענה אתכם וישמע בקול צעקתכם ביום הזה; ברוך אתה ה' שומע תפילה.
על
השישית--הוא אומר מי שענה את יונה במעי הדגה, הוא יענה אתכם וישמע קול צעקתכם ביום הזה; ברוך אתה ה' העונה בעת צרה.
על
השביעית--הוא אומר מי שענה את דוד ושלמה בנו בירושלים, הוא יענה אתכם וישמע בקול צעקתכם ביום הזה; ברוך אתה ה' המרחם על הארץ.
Voici
la traduction du premier et du dernier ajout :
A la première (addition à la ‘Amida), on dit :
« celui qui a répondu à Abraham sur le mont Moria, c’est lui qui vous
répondra et écoutera la voix de votre cri en ce jour. Béni sois-tu Eternel,
celui qui rachète Israël »
[…]
A la septième (addition à la ‘Amida), on dit :
« celui qui a répondu à David et Salomon son fils dans Jérusalem, c’est
lui qui vous répondra et écoutera la voix de votre cri en ce jour. Béni sois-tu
Eternel, celui qui fait miséricorde sur la terre »
Le
TB rapport une tradition semblable[17]
qui permet de préciser que ces sept bénédictions supplémentaires s’intercalent
entre la septième et la huitième bénédiction ordinaire (גואל
ישראל « go’el israel »,
‘rédempteur d’Israël’ et רופא חולים « rofé’
ḥolim », ‘qui guérit les malades’) de la ‘Amida ‘ordinaire’[18] :
Selon
Saul Lieberman[19], dans le passage de la
Tosefta, Sumkhos s’oppose à la formule de clôture (ḥatima) המרחם על הארץ, ha-meraḥem ‘al ha-aretz
« qui fait miséricorde sur la terre » de la septième bénédiction
supplémentaire et souhaite la remplacer parמשפיל הרמים,
mashpil ha-ramim, « qui abaisse ceux qui s’élèvent », en
référence à la bénédiction des Minim (מכניע זדים).
A.
Marmorstein[20] analyse ces vingt-quatre
bénédictions dans leur version du texte de la Mishna et dans celle d’un
fragment du British Museum (No. 5557 P. pp. 25a-26b) qui contient une ‘Amida
pour les jours de jeûne public datant de la période des géonim. La
formule משפיל הרמים, mashpil ha-ramim n’apparaît ni
dans la Mishna, ni dans le fragment, ce qui signifie que, sous réserve d’avoir
bien compris le texte lapidaire de la Tosefta, l’opinion de Sumkhos de
remplacer המרחם על הארץ, ha-meraḥem ‘al ha-aretz
par משפיל הרמים, mashpil
ha-ramim n’a pas été retenue comme halakha.
Par
ailleurs, Lieberman propose de corriger משפיל הרמים, mashpil
ha-ramim "qui abaisse ceux qui s’élèvent" : par משפיל ומרים, mashpil u-merim "qui
abaisse et qui élève" ou encore par משפיל ההרים, mashpil
hé-harim "qui abaisse les montagnes", tout en soulignant que la
version משפיל הרמים, mashpil ha-ramim est aussi
présente dans la version du TJ.
Soumkhos
a vraisemblablement l’intention d’ajouter une septième bénédiction
supplémentaire pour les jours de jeûne. Cette bénédiction aurait en quelque
sorte la même fonction que la bénédiction des Minim dans les dix-huit
principales. Bien que cette proposition ne semble pas avoir eu de conséquence
sur le rituel de prière tel qu’on le connaît, cette mention d’une birkat
ha-minim dans la Tosefta avec le nom d’un Sage de la fin du 2e
siècle renforce l’idée d’une apparition d’une bénédiction destinée aux Minim
non pas à la fin du premier siècle, mais cent ans plus tard.
Des traces dans la Mishna
Après avoir étudié les textes de la Tosefta qui font les
premières mentions d’une bénédiction des Minim dans la ‘Amida, il me paraît
judicieux de mentionner un passage de Berakhot qui, sans mentionner
d’institution formelle d’une bénédiction des Minim, et surtout pas à Yavné,
témoigne pourtant d’une pratique qui ressemble à ce qu’évoquent plus tard les
deux talmuds.
ברכות, ה, ג
האומר.
על קן ציפור יגיעו רחמיך. ועל טוב יזכר שמך. מודים מודים. משתקים אותו. העובר לפני התיבה
וטעה. יעבור אחר תחתיו. לא יהי סורבן באותה שעה. מניין הוא מתחיל. מתחילת הברכה שטעה זה.
ברכות, ה, ה
המתפלל וטעה סימן רע לו. ואם שליח ציבור הוא סימן רע לשולחיו. ששלוחו שלאדם כמותו.
M Berakhot 5,3
Celui qui dit « ta
miséricorde atteindra le nid de l’oiseau », et « ton nom sera
prononcé pour le bien », « nous te rendons grâce, nous te rendons
grâce », on le fait taire. Celui qui passe devant l’arche et se trompe, un
autre passera à sa place, un qui ne refusera pas à cette même heure. A partir
de quand commence-t-il ? Au début de la bénédiction dans laquelle l’autre
s’est trompé.
M Berakhot 5,5
Celui qui prie et qui se
trompe : c’est un mauvais signe pour lui. Si c’est un envoyé du public,
c’est un mauvais signe pour ceux qui l’ont mandaté, car le mandataire de quelqu’un
est comme cet homme.
Cette tradition possède un passage synoptique qui lui
ressemble fortement, toujours dans la Mishna :
משנה:
מגילה, ד, ט
האומר. יברכוך טובים. הרי זו
דרך המינות. על קן ציפור יגיעו רחמיך. ועל טוב יזכר שמך. מודים מודים. משתקים
אותו. והמכנה בעריות משתקים אותו. האומר "ומזרעך לא תתן להעביר למולך. משתקים
אותו בנזיפה.
M Megila 4,9
Celui qui dit : « que les bons te
bénissent », c'est une pratique de Minut (hérésie) « ta
miséricorde atteindra le nid de l’oiseau » et « ton nom sera prononcé pour le bien ». « nous te rendons grâce, nous te
rendons grâce »,. On le fait
taire.
Celui qui interprète (figurativement) les
interdits sexuels, on le fait taire.
Celui qui dit « Et de ta descendance tu ne
donneras pas à passer [au feu] de Moloch » (Lv 18,21) : tu ne passeras pas
tes enfants par les armes.
On le fait taire comme [premier degré de l'] excommunication
Ces deux passages traitent clairement de la récitation de la
prière et des erreurs intentionnelles que le récitant pourrait introduire. Dans
Berakhot comme dans Megilla, la Mishna interdit des formulations qui rappellent
clairement l’hérésie des deux Puissances dans le Ciel et qui n’est autre qu’un
binitarisme juif, c'est-à-dire la croyance en un Logos-Memra hypostasié, égal à
Dieu[21].
La répétition de מודים, modim, « nous te rendons
grâce » alors que le texte officiel de la dix-huitième bénédiction
comporte une seule fois ce mot, serait la marque de la croyance bithéiste[22],
tout comme la mise au pluriel יברכוך טובים
« que les bons te bénissent » qui remplace « le bon » au
singulier.
Le dualisme gnostique qui
comporterait un dieu bon et un dieu mauvais ne semble pas visé par ce texte,
puisqu’il parle de bons au pluriel.
Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur les autres phrases
condamnées[23], car ces deux passages
nous démontrent qu’à l’époque de la rédaction de la Mishna, les Sages voulaient
évincer les shelihé ha-tzibur, les récitants de la prière qui
introduisaient des formules hérétiques, selon une voie de Minut. Le texte de
Berakhot dit que si ce récitant s’est trompé, on le fait taire et on en prend
un autre qui dira correctement la bénédiction, selon une formule officielle des
rabbins.
Certes, il n’y a pas mention d’une bénédiction spécifique
contre les Minim qui permet au Min de s’auto-exclure. En revanche, il y a une
volonté claire de réduire au silence, par le même procédé de contrôle du
récitant, les juifs identifiés comme hérétiques. Cet état de fait correspond à
une situation où les rabbins ne sont pas suffisamment dominants pour imposer
une bénédiction des Minim qui dissuaderait les hérétiques de venir comme
envoyés du public, mais ils sont dans une phase de prise de contrôle
idéologique où ils tentent déjà de les distinguer des autres, de les faire
taire et de les dissuader. Berakhot 5,5 est éloquent sur l’ambiance à
l’intérieur de la synagogue puisqu’il met en évidence que ce sont des groupes
d’individus qui envoient un sheliah ha-tzibur, une personne mandatée,
pour réciter la prière.
Il est également intéressant de noter que ce n’est pas le
christianisme en soi, ni même le judéo-christianisme, qui inquiète les rabbins,
mais plus généralement le bithéisme répandu chez les juifs. Boyarin cite
d’ailleurs le texte de Megilla comme preuve de l’implantation du binitarisme en
milieu synagogal[24]. Il est curieux qu’il ne
note pas ce texte comme révélateur d’une attitude préfigurant l’apparition
formelle de la birkat ha-minim.
La birkat ha-minim dans les deux talmuds
Notre champ d’étude se limite à la période tannaïtique, mais
la comparaison du texte de la Tosefta avec les versions du Talmud devrait nous
permettre de préciser ce que l’on peut dire et ne pas dire de la birkat
ha-minim à l’époque tannaïtique.
Le texte le plus ancien est certainement celui du Talmud de
Jérusalem, dont la rédaction finale a lieu dans la première moitié du 5e
siècle :
ירושלמי,ברכות:
ד, ג
אמ' ר' לוי. כנגד שמונה-עשרה
הזכרות שכת' ב"הבו לי'י בני אלים". אמ' ר' חונה. אם יאמר לך אדם.
שבע-עשרה אינון. אמור לו. שלמינין כבר קבעו חכמ' ביבנה.
TJ Berakhot 4,3
Rabbi Lévi a dit : en regard
des dix-huit mentions qui sont écrites dans (le psaume 29) « Rendez au
Seigneur, ô fils de Dieu ». Rav Houna a dit : si un homme te dit : elles
sont dix-sept, dis-lui que pour (la bénédiction qui concerne) les Minim, les
Sages l’ont déjà établie à Yavné.
Ce texte est très proche de celui de la Tosefta. Il
mentionne la référence au psaume 29 comme source du chiffre 18 des dix-huit
bénédictions. Il parle de la bénédiction des Minim, mais omet celle des paroshim,
les séparés, mentionnés par la Tosefta. Il rajoute le concept de Yavné absent
du texte de la Tosefta.
Un autre passage du TJ commente la Mishna qui indique
l’obligation de reprendre la prière lorsqu’on s’est trompé :
ברכות ב,ג. קרא וטעה יחזור למקום שטעה.
M Berakhot 2,3 Celui qui
récite et se trompe doit reprendre à l’endroit de son erreur.
Le TJ commente ainsi :
ירושלמי,ברכות:
ב, ג
ותני עלה. כולל שלמינים
ושלרשעים במכניע זדים. ושלגרים ושלזקינים במבטח לצדיקים. ושלדוד בבונה ירוש'.
"אחר ישובו בני יש' ובקשו את י'י אלהיהם ואת דוד מלכם".
TJ Berakhot 2,3
Il a été enseigné à propos de
cette mishna : cela comprend (les mots) ‘Minim’ et ‘Méchants’ dans (la bénédiction)
« soumets les mauvais ». Et ‘prosélytes’ et ‘anciens’ dans (la bénédiction) «
un refuge pour les justes ». Et ‘David’ dans ‘celui qui bâtit Jérusalem. (Osée
3,5) : « Après cela, les enfants d'Israël reviendront; ils chercheront
l'Éternel, leur Dieu, et David, leur roi ».
Ce texte présente une variété de bénédictions qui doivent
être prononcées correctement sous peine de devoir faire répéter le récitant (on
suppose qu’il s’agit de l’envoyé du public) :
- la bénédiction qui se clôt par « qui soumet les
mauvais » est bien la bénédiction que l’on appelle habituellement
bénédiction des Minim (la douzième) ;
- celle qui se clôt par « un refuge pour les justes »
est la bénédiction des justes (la treizième) ;
- celle qui se clôt par « qui bâtit Jérusalem » est la
bénédiction de la construction de Jérusalem (la quatorzième).
On peut noter que les bénédictions « sensibles »
sont différentes de celles identifiées par les textes de la Mishna étudiés au
paragraphe précédent. Si le processus d’identification et d’excommunication de
l’hérétique récitant est tout à fait semblable, les préoccupations
hérésiologiques des rabbins semblent avoir changé depuis l’époque de la Mishna.
Cette tradition du TJ se retrouve avec des gloses, des
explications et des remaniements dans le midrash Tanhuma, un midrash compilé au
9e siècle et d’origine palestinienne :
תנחומא: ויקרא, ב
ילמדנו
רבינו. העובר לפני התיבה וטעה ולא אמר קללת המינים מהו להחזירו. כך שנו רבותינו.
העובר לפני התיבה וטעה ולא אמר ברכת כהנים ובכל הברכות כולן אין מחזירין אותו. אבל
טעה בקללת המינים מחזירין אותו ואומרה בעל כרחו. חיישינ' שמא מין הוא. אלא מחזירין
אותו שאם יהיה בו צד מינות מקלל את עצמו ויענו הקהל אמן. וכן כל מי שלא אמר. בונה
ירושלם. חיישינן שמא כותי הוא.
Tanḥuma Vayiqra 2
Nos maîtres ont enseigné :
celui qui passe devant l'arche (récite la prière) et se trompe et ne dit pas la
malédiction des Minim, on doit le faire répéter. Voici ce que nos maîtres ont
enseigné : celui qui passe devant l'arche et ne dit pas la bénédiction des
Cohanim (prêtres) et pour toutes les autres bénédictions, on ne le fait pas
répéter. Mais s'il s'est trompé dans la malédiction des Minim, on le fait
répéter et il la dit de force, parce qu'on le suspecte d'être un Min. Puisqu'en
le faisant répéter, s'il est du côté de l'hérésie (minut), il se maudit
lui-même et l'assemblée répond Amen. Et de même, toute personne qui ne dit pas
"qui construit Jérusalem", on le suspecte d'être un samaritain.
Le texte du Tanḥuma décrit de façon très explicite la
procédure qui amène le Min à s’auto-maudire publiquement. Il fait également la
distinction entre le groupe des Minim qui doit s’auto-maudire par la
malédiction des Minim et le groupe des samaritains qui est concerné par la
malédiction du bâtisseur de Jérusalem.
L’institution de la bénédiction des Minim par Samuel le
Petit est rapportée dans le TJ dans le passage suivant :
ירושלמי
ברכות ה,ג
העובר לפני התיבה וטעה. ר'
יוסי בן חנינה בשם ר' חנניה בן גמליאל. טעה בשלש ברכות הראשונות חוזר בתחילה. אדא
בר בר חנה גניבה בשם רב. טעה בשלש ברכות האחרונות חוזר לעבודה.
ר' חלבו רב חונה בשם רב. טעה
בשלש ברכות הראשונות חוזר בתחילה. בשלש ברכות האחרונות חוזר לעבודה. טעה ואינו
יודע איכן טעה חוזר למקום הברור לו.
ר' אחא ור' יודה בן פזי יתבין
בחד כנישתא אתי. עבר חד קומי תיבותא ואשגר חד ברכה. אתון ושיילון לר' סימון. אמ'
לון ר' סימון בשם ר' יהושע בן לוי. שליח ציבור שהשגיר שתים שלש ברכות אין מחזירין
אותו. אשכח תניי ופליג. לכל אין מחזירין אותו חוץ ממי שלא אמ' מחיה המתים ומכניע
זדים ובונה ירוש'. אני או'. מין הוא.
שמואל הקטן עבר קומי תיבותא ואשגר מכניע
זידים בסופה. שרי משקיף עליהון. אמרין ליה. לא שיערו חכמ' כך.
TJ Berakhot 5,3
Celui qui passe devant l’arche et fait une erreur. Rabbi Yossé ben Hanania
dit au nom de Rabbi Hannania ben Gamliel : s’il s’est trompé dans les
trois premières bénédictions, il recommence depuis le début. Ada bar bar Hana
Gniva au nom de Rav : s’il s’est trompé dans les trois dernières
bénédictions, il recommence à la bénédiction du « culte » (la 17e).
Rav Helbo (au nom de) Rav Houna au nom de Rav : s’il s’est trompé dans
les trois premières bénédictions, il recommence depuis le début. S’il s’est
trompé dans les trois dernières bénédictions, il recommence à la bénédiction du
« culte ».
S’il s’est trompé mais ne sait plus où, il recommence à partir de l’endroit
qui est clair pour lui.
Rabbi Aha et rabbi Youda ben
Pazi étaient assis dans la même synagogue. Quelqu'un passa devant l'arche et
improvisa une bénédiction. Ils allèrent trouver et interrogèrent Rabbi Simon.
R. Simon leur dit au nom de R. Yehoshua ben Lévi : l’envoyé du public
(sheliaḥ ha-tsibur) qui improvise deux ou trois bénédictions, on ne le reprend
pas. On a trouvé dans une baraïta quelque chose de contradictoire : on ne
reprend pour aucune des bénédictions, sauf pour celui qui ne dit pas « qui
ressuscite les morts » (N°1), et « qui soumet les mauvais »
(N°12) et « qui construit Jérusalem » (N°14), [car] je dis : c'est un
Min.
Samuel le Petit passa devant
l'arche (récita la prière) et changea (improvisa) la bénédiction des Minim (qui
se termine par « qui fait fléchir les méchants ») à la fin. Les
maîtres attendirent de lui et lui dirent : les Sages n'ont pas pensé à toi !
(en composant cette bénédiction).
Dans cette version, on trouve, comme dans TJ Berakhot 2,3,
des bénédictions qui doivent être répétées si elles sont récitées
incorrectement. Il s’agit des bénédictions numéros une, douze et quatorze,
alors que le TJ cite les numéros douze, treize et quatorze. On a pour la
première fois la mention de Samuel le Petit sans toutefois mentionner le
contexte yavnéen comme c’est le cas dans la version du Bavli :
ברכות
כ"ח ע"א
ת'ר. שמעון הפיקולי הסדיר
שמונה-עשרה ברכות לפני רבן גמליאל על הסדר ביבנה. אמ' להם ר'ג לחכמים. כלום יש אדם
שיודע לתקן ברכה למינים. ירד שמואל הקטן ותיקנה.
לשנה אחרת שכחה. השקיף שתים
ושלש שעות ולא העלוהו. אמאי לא העלוהו. והאמ' רב יהודה אמ' רב. טעה בכל הברכות
כולן אין מעלין אותו. טעה בברכת המינין מעלין אותו. חיישינן שמא מין הוא. שאני
שמואל הקטן דהוא תיקנה.
TB Berakhot 28a
Nos maîtres ont enseigné :
Shimon ha-Peqoli rédigea les dix-huit bénédictions devant Rabban Gamaliel, dans
leur ordre, à Yavné. Rabban Gamaliel dit aux Sages : quelqu'un sait-il corriger
(ou formuler) une bénédiction pour les Minim ? Shemuel ha-qatan (Samuel le
Petit) se leva et la corrigea (ou la formula).
L'année suivante, il l'oublia
et tenta de se la remémorer pendant deux à trois heures et on ne le fit pas
monter (on ne l’interrompit pas). Pourquoi ne l’interrompit-on pas ?
Rav Yehuda a dit : Rav a dit :
s'il s'est trompé dans toutes les bénédictions, on ne le fait pas monter (on ne
l’interrompt pas). S'il s'est trompé sur la bénédiction des Minim, on le fait
monter (on l’interrompt) car on suspecte qu'il soit un Min. C’est différent
pour Samuel le Petit, car c’est lui qui l'a établie (la bénédiction des Minim).
La version babylonienne de l’institution de la birkat
ha-minim comporte encore des évolutions par rapport à la version
palestinienne. Les mentions de Yavné, de Rabban Gamaliel et de Shimon le
cotonnier s’ajoutent à celle de Samuel le Petit dans une sorte de théâtralisation
de l’évènement. Il n’y a désormais plus que la bénédiction des Minim qui fait
l’objet d’une répétition nécessaire en cas d’erreur, en raison de la suspicion
d’hérésie.
Conclusion sur la bénédiction des Minim
Au terme de ce parcours chronologique au sein des textes
tannaïtiques et talmudiques, nous proposons une reconstruction historique qui
nous apparaît plausible.
Après 70, les groupes des scribes et des pharisiens,
doctrinalement compatibles entre eux, mais non dominants au sein des synagogues
qui sont fréquentées également (mais pas seulement) par des juifs bithéistes,
veulent imposer la prière obligatoire et communautaire dans la synagogue comme
substitut du culte du Temple détruit. Le texte n’est pas fixé et encore soumis
à improvisations du récitant. La Mishna relate des désaccords entre rabbins de
tendances différentes, sur le caractère obligatoire de la prière, sur sa forme
complète ou résumée.
Parmi les juifs tenants de la doctrine des Deux Puissances dans
le Ciel, figurent des judéo-chrétiens, mais ce n’est pas spécifiquement contre
eux que les rabbins se dressent en décidant d’écarter les récitants de la
prière qui énoncent des formules de bénédiction bithéistes ou binitaires. La
Mishna mentionne la volonté des rabbins d’exclure les récitants bithéistes
ainsi qu’un certain nombre d’hérétiques autres, dont la doctrine n’apparaît pas
forcément clairement.
Il n’est pas improbable que du côté chrétien, cette activité
antihérétique des rabbins à l’intérieur des synagogues dirigée essentiellement
contre les juifs binitaires, soit perçue par Justin dans son Dialogue avec
Tryphon, comme une marque d’hostilité antichrétienne.
Au début du troisième siècle, comme en témoigne la Tosefta,
les rabbins, qui gagnent en autorité dans le milieu synagogual, parviennent à
transformer une bénédiction dont l’origine remonte à l’époque du Second Temple
qui était destinée aux séparatistes esséniens et aux sadducéens, et qui va
désormais s’appliquer aux Minim, essentiellement aux juifs binitaires. Cette
bénédiction ainsi que celle du « bâtisseur de Jérusalem » servent à
exclure les récitants qui ne les approuvent pas et les prononcent
incorrectement.
Au début du cinquième siècle, le Talmud de Jérusalem parle
de l’instauration de la bénédiction des Minim à Yavné (TJ Berakhot 4,3) et de
son auteur, Samuel le Petit (TJ Berakhot 5,3). Il souligne l’importance de
faire répéter quatre des dix-huit bénédictions, dont celle des Minim, pour
pouvoir exclure des récitants non orthodoxes.
Enfin, en Babylonie au 6e siècle, la bénédiction
des Minim demeure la seule à être répétée lorsque le récitant s’est trompé. Son
origine yavnéenne est soulignée et son lien avec Rabban Gamaliel lui-même est
mis en valeur. Cette théâtralisation, combinée à la simplification en une seule
bénédiction « sensible », sent le triomphalisme d’une institution
bien établie qui a réussi peu à peu à imposer une formulation fixée de la
prière synagogale, au départ très fluctuante et très improvisée. Un certain
nombre de bénédictions, peut-être relatives aux sadducéens (qui se trompent sur
la résurrection des morts), aux samaritains (c’est la glose proposée par le
Tanhuma concernant la bénédiction du bâtisseur de Jérusalem) ou aux
séparatistes esséniens (paroshim), sont abandonnées. La bénédiction des Minim
demeure l’unique « malédiction » destinée aux hérétiques.
[1]
Voici la traduction de la version de la birkat ha-minim de la Genizah de la
synagogue karaïte du Caire :
« pour les meshumadim (traîtres), qu’il n’y ait
pas d’espoir, et que le royaume de l’impertinence soit déraciné de nos jours,
et que les notzrim (nazaréens) et les minim disparaissent en un clin d’œil,
qu’ils soient effacés du livre des vivants et ne soient pas inscrits avec les
justes ; béni sois-tu Seigneur qui soumets les impudents ».
Il s’agit du texte publié par S. Schechter en 1898 et
traduit par S. Mimouni dans Le Judéo-Christianisme ancien, essais
historiques, Paris (1998) p. 171.
[2]
Pour une bibliographie sur la question de la Birkat ha-minim, voir Simon Claude
Mimouni dans Le Judéo-Christianisme ancien, essais historiques, Paris
(1998) pp. 168-169. Nous avons ajouté les traductions entre parenthèses et
modifié l’orthographe des termes transcrits.
[3] D. Boyarin, la
partition du judaïsme et du christianisme, Paris 2011, pp. 132-144.
[4] Shaye J.D. Cohen, The
Significance of Yavneh:, HUCA 55 (1984), puis édité dans une collection
d’article S. Cohen, The Significance of Yavneh: Pharisees, Rabbis, and the
End of Jewish Sectarianism, Tübingen 2010, p. 67-68
[5]
TB Megila 17b. En réalité, le Talmud rapporte dans la même page les deux temps
essentiels de la constitution de la prière des 18 bénédictions : la Grande
Assemblée et la période de Yavné.
דתניא שמעון הפקולי
הסדיר שמונה עשרה ברכות לפני רבן גמליאל על הסדר ביבנה אמר רבי יוחנן ואמרי לה
במתניתא תנא מאה ועשרים זקנים ובהם כמה נביאים תיקנו שמונה עשרה ברכות על הסדר.
[6]
E. Fleischer, לקדמוניות תפילת החובה בישראל « aux origines de la prière
obligatoire en Israël », Tarbiz 59 (1990) pp. 397-441.
[7] C’est l’hypothèse
intéresssante et très plausible développée par Boyarin lorsqu’il identifie deux
listes de sages dans le traité Avot qui correspondent à deux « écoles de
pensée », les yohaniens et les gamaliélites, qu’il propose d’identifier avec
les pharisiens et les scribes. Cf. Boyarin, la partition du judaïsme et du
christianisme, Paris 2011, p. 163-164.
[8] Herford, Christianity
p. 313-314.
[9] Boyarin, La partition
p. 132-133
[10]
C’est le cas par exemple de I. Elbogen, Der jüdische Gottesdienst in seiner geschichtlichen
Entwickelung, Leipzig 1913 (disponible également en anglais Jewish
Liturgy: A Comprehensive History et en hébreu התפילה בישראל בהתפתחותה
ההיסטורית), C. Thoma, Théologie
Chrétienne du Judaïsme, Aschaffenburg 1978, pp. 255-256.
[11] David Flusser, Judaism
and the Origins of Christianity Jérusalem, 1988.
[12] Mimouni, "Le
Judéo-Christianisme ancien", Paris 1998 p.182-184
[13]
David Flusser, Judaism and the Origins of Christianity Jérusalem, 1988.
[14]
שאול
ליברמן, תוספתא כפשוטה, סדר זרעים חלק א', נויורק וירושלים תשס"א עמ' 53
- 54
S. Lieberman, Tosefta Ki-fshuṭa, order Zera’im part 1, New York Jerusalem,
2001. pp. 53-54
[15]
Ibid. voir note 84.
[16] Un parrallèle de cette
tradition existe également dans le Talmud de Jérusalem : ירושלמי: תענית ב,ט
על
השביעית. משום סומכוס אמרו ברוך משפיל רמים. ניחא שלמה דכתיב ביה: בנה בניתי בית
זבול לך
TJ Taanit 2,9 : A propos de la septième : au nom
de Sumkhos il a été dit : "Béni-soit Celui qui abaisse ceux qui
s’élèvent".
[17] TB Taanit 15b :
פיס'.
"ואומ' לפניהם עשרים וארבע ברכות" וג' עד "ומוסיף עליהן עוד
שש". שבע הויאן. דתנן. ''על השביעית הוא אומ''' )משנה. תענית ב,ד(. אמ'
רב נחמן בר יצחק. מאי שביעית. שביעית לאורכות כדתניא. בגואל ישראל הוא מאריך
ובחותמה הוא אומ'. מי שענה את אברהם בהר המריה הוא יענה אתכם וישמע קול צעקתכם
היום הזה. ברוך גואל ישראל. והן עונין אחריו. אמן. וחזן הכנסת אומ' להן. תקעו בני
אהרן תקעו.
[18] Voir aussi : A. Marmorstein, The
Amidah of the Public Fast Days in The Jewish Quarterly Review, New
Series, Vol. 15, No. 3 (Jan., 1925), pp. 409-418.
[19] S. Lieberman, Tosefta Ki-fshuṭa, order Mo’ed part 5,
New York Jerusalem, 2001. P. 1073.
[20]
Ibid.
[21] Voir Boyarin, La
partition, p. 225 et suivantes.
[22] Le TB Berakhot 33b
commente clairement la Mishna dans ce sens :
משום
דמיחזי כשתי רשויות, « parce que cela apparaît comme Deux
Puissances ».
[23] Boyarin, La partition,
p. 231-232 Boyarin identifie que leTargum de Lv 18,21 indique une lecture
opposée à celle de la Mishna. La condamnation dans un même texte mishnique de
deux doctrines présentes dans le Targum, le binitarisme et les unions sexuelles
entre israélites et païens lui font supposer que le public visé est le même.
[24] Boyarin, La partition,
pp. 230-232.
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