jeudi 25 février 2010

Sur l'origine du mot "pharisien"

Dans un précédent post où je m'interroge sur la pertinence des "sept types de Pharisiens", je mentionne que le terme פרושין (au singulier פרוש) est ambivalent et pourrait signifier à la fois "pharisien" lorsqu'il est vocalisé perushim פְרוּשין et "séparé" ou hérétique lorsqu'il est vocalisé paroshim פָרוֹשין.



Un passage et ses commentaires illustre bien l'utilisation possible de ce mot dans son sens simple et original de "séparé".

תוספתא: ברכות, ג, כה
שמונה-עשרה ברכות שאמרו חכמים כנגד שמנה-עשרה אזכרות שב"הבו לה' בני אלים". כולל של מינים בשל פרושין. ושל גרים בשל זקנים. ושל דוד בבונה ירושלם. אם אמר אלו לעצמן ואילו לעצמן יצא


Tosefta Berakhot 3,25
Les Sages ont établi 18 bénédictions en regard des 18 mentions du Psaume 29 "Rendez au Seigneur, ô fils de Dieu". Y compris celle des Minim en raison de celle des Paroshim. Celle des Prosélytes (ger) en raison de celle des Anciens. Celle de David en raison du "bâtisseur de Jérusalem". S'il dit ces premières pour elles-mêmes et les secondes pour elles-mêmes, il est quitte.


Selon le commentaire de S. Lierberman "Tosefta Kifshuta" "ce passage nous apprends que cette bénédiction commence par une bénédiction à l'encontre des "paroshim", des personnes qui ont pris l'habitude de se séparer du public (c'est-à-dire du peuple d'Israël) à des moments de pression et de danger".

La note 84 de Lieberman donne une multitude de références sur l'emploi de פרוש en tant que personne "שדרכו לפרוש לים", qui à l'habitude de s'éloigner de la mer [cf. Nombres Rabba 16 : "הלכה: מהו לפרוש לים הגדול קודם לשבת שלשה ימים" : "halakha : que signifie s'éloigner de la Mer Méditérannée avant le shabbat trois jours ?].
TJ Moed Qatan 2,3 ירו' מועד קטן פ"ב ה"ג
ר' יצחק בי ר' לעזר מפקד לר' הושעיה בי ר' שמי (שמאי) דהוה פרוש .
... R. Shammaï était "parosh"
Aussi dans TJ Shabbat 2,6 ירו' שבת פ"ב ה"ו
ר' כהן אחוי דר' חייה בר בא הוה פריש אתא בעי מיפרוש וכו
il était "parish", c'est la forme araméenne équivalente à parosh..
Dans Peskita de Rav Kahana, 136 page b פסיקתא דר"כ קלו ע"ב il est aussi question d'un bateau qui s'éloigne sur la mer Méditérannée : מעשה בספינה אחת שהיתה מפרשת בים הגדול, והיתה כולה גוים, והיה בה תינוק אחד יהודי, ובא עליה סער גדול בים, איתגלי אליהו על ההוא ינוקא.

(il faut continuer à décrypter la note 84, car S. Lierberman arrive sur une conclusion intéressante sur l'association מין min et פרוש parosh, ce qui conforte l'idée du parosh en tant que "éloigné", "séparé", donc sectaire.)

Dans le Seder Olam Rabba, fin du chapitre 3, on lit ceci :
אבל מי שפרשו מדרכי ציבור כגון הצדוקין והמסורת והחניפין [המינין והמשומדין והגודפנין] והאפיקורסים ושנתנו חיתיתם בארץ החיים ושכפרו בתחיית המתים והאומרים אין תורה מן השמים והמלעיגים על דברי חכמים גיהנם ננעלת בפניהם ונידונין בתוכה לעולמי עולמים שנאמר (ישעיה ס"ו) יוצאו וראו וגו
Mais tous ceux qui se sont éloignés des habitudes [chemins] du public (c'est-à-dire Israël) comme les Minim (remplacé par Sadducéens dans certaines versions), les exterminés (traîtres, collaborateurs), les blasphémateurs, les épicuriens, qui ont donné leur sauvagerie sur la terre des vivants, qui ont été hérétiques concernant la résurrection des morts, qui disent "la Tora n'est pas du Ciel" (d'origine divine), qui se moquent des paroles des Sages ; pour eux, la Géhenne est scellée et ils y seront jugés pour les siècles des siècles comme il est dit : Is 66, 24 : "Et quand on sortira, [on verra les cadavres des hommes qui se sont rebellés contre moi; car leur ver ne mourra point, et leur feu ne s'éteindra point; et ils seront pour toute chair un objet d'horreur.]"

[Autre version :
ומי שפירש מדרכי צבור. כגון המינין והמסורות והאפיקורוסין והבורסים והגודפנים והמבזים את המועדות והמשומדים ושכפרו בתחיית המתים ושאמרו אין תורה מן השמים.
Et celui qui s'éloigne des chemins du public, tel que les Minim, les traîtres, les Epicuriens, les tanneurs (בורסי du grec βυρσεύς), les blasphémateurs, ceux qui méprisent les fêtes, les Meshumadim [traîtres, collaborateurs des Romains]...
]



Il s'avère donc que le mot פרוש ne signifie pas avant tout "pharisien" au sens où l'emploi le NT. C'est certes un sens possible dans la littérature talmudique, mais son sens original est bien celui de "séparé", c'est-à-dire sectaire qui met en danger l'unité du peuple d'Israël. "כולל של מינים בשל פרושין", "Y compris la bénédiction des Minim en raison de celle des Paroshim" signifie, toujours selon Lierbeman, qu'une bénédiction concernant les hérétiques, ceux qui s'écartent du peuple d'Israël, existait avant la "correction" (שמואל הקטן תיקן Samuel le Petit a corrigé) en même temps que la fixation (תקנה taqana, décision rabbinique) de la birkat ha-minim, bénédiction des Minim, à Yavné.

Au passage, il est intéressant de noter que les Minim constituent une des catégories énumérées comme déviants, sectaires. S'agit-il d'une énumération de termes équivalents ? Ou bien s'agit-il de catégories bien distinctes renfermant ou non un sens précis, voire un groupe précis ? Ou bien s'agit-il d'une énumération de termes qui ont en commun la seule capacité à représenter des dangers pour l'unité du peuple d'Israël ?

Il faut revenir en conclusion sur notre question initiale concernant les Pharisiens. Le mot paroshim / perushim n'est probablement qu'un terme péjoratif attribués par leurs opposants (Sadducéens par exemple). Finkelstein dans son livre "les Pharisiens et les hommes de la Grande Assemblée" (en hébreu הפרושים ואנשי כנסת הגדולה) donne une note (119) intéressante à la page 33 concernant la façon dont les Pharisiens se nomment eux-mêmes.

Mais pour l'heure, nous avons suffisemment d'éléments pour affirmer que, dans la littérature rabbinique, le mot פרוש ou son pluriel פרושין / פרושים ne peut en aucune manière être considéré comme synonyme de "pharisien" compris dans le sens où l'entendent les écrits néotestamentaires.

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