samedi 3 avril 2010

Pâque et Pâques

Nous lisons dans Wikipédia à propos de Pâques :

"La formule « Pâque orthodoxe » est parfois utilisée pour désigner cette fête lorsqu'elle est célébrée par les Églises orthodoxes à une date qui diffère de la date occidentale. Mais cet usage est incorrect car le « s » de Pâques ne fait pas référence à une pluralité de dates. La langue française distingue en effet « la » Pâque originelle juive et la fête chrétienne de Pâques. La première commémore la sortie d'Égypte par un repas rituel qui s'appelle aussi « la Pâque ». La fête chrétienne est multiple. Elle commémore à la fois la sortie d'Égypte, l'institution eucharistique lors du repas de la Pâque, la crucifixion du Christ et son repos au tombeau le septième jour, sa résurrection, passage de la mort à la vie, et la nouvelle création inaugurée le huitième jour."

Mais ailleurs sur Lexilogos, on trouve une autre explication :

"On distingue la Pâque juive des Pâques chrétiennes : la Pâque juive s'emploie au singulier, les Pâques chrétiennes au pluriel. Au Moyen Âge, on écrivait au singulier ou au pluriel indifféremment pour les deux fêtes."

Signification du mot Pâque

Revenons donc à quelques fondamentaux pour revenir sur des idées reçues. Tout d'abord l'équation Pâque = Passage. Pâque peut vouloir dire passage, mais dans un certain sens, pas dans tous les sens que le français nous propose. En effet, on peut lire que la Pâque serait le "passage de la Mer rouge" ou même le "passage de la mort à la vie". C'est une extrapolation du sens de passage qui vient probablement d'une lecture chrétienne (Pères de l'Eglise ?) qui interprête tout le livre de l'Exode comme une préfiguration de la mort et de la Résurrection du Christ.

Le livre de l'Exode ch12, verset 13 dit : "Le sang, dont seront teintes les maisons où vous habitez, vous servira de signe: je reconnaîtrai ce sang et je vous épargnerai et le fléau n'aura pas prise sur vous lorsque je sévirai sur le pays d'Égypte."

"Et je vous épargnerai" correspond à l'hébreu : וּפָסַחְתִּי עֲלֵכֶם u-fasahti alekhem. Fasah est le verbe qui correspond au nom Pessah que nous traduisons pas Pâque (qui n'est que la transciption du latin Pascha lui-même transcription du grec πάσχα lui-même tanscription de l'araméen פסחא (pas'ha), mot équivalent à l'hébreu פסח, le a final (א) étant typique du nom déterminé en araméen). L'ange exterminateur des premiers nés (ou bien Dieu lui-même ?) fait donc l'action de "passer" au sens de "sauter par dessus" lorsqu'il voit une maison dont les lintaux sont recouverts du sang de l'agneau sacrifié.

Il faut relire en entier le début du chaptire 12 de l'Exode pour comprendre que le mot "pessah" est employé à propos de l'agneau égorgé au verset 11 :

"Et voici comme vous le mangerez: la ceinture aux reins, la chaussure aux pieds, le bâton a la main; et vous le mangerez à la hâte, c'est la pâque en l'honneur de l'Éternel."

L'explication de Rashi

"C'est la Pâque de l'Eternel" (פסח הוא לה). Rashi (1040-1105) commente ainsi cette partie du verset :
הקרבן קרוי "פסח" על שם הדילוג והפסיחה.
Le sacrifice est appelé "pessah" à cause du fait de "sauter par dessus" et "le fait de passer" [explicité au verset 13]
שהקב"ה היה מדלג בתי ישראל מבין בתי מצרים וקופץ ממצרי למצרי וישראל אמצעי נמלט.
Car le Saint Béni Soit-Il passait par dessus les maisons des [fils d'] Israël qui étaient entre les maisons des Egyptiens, de maison égyptienne en maison égyptienne et la maison des fils d'Israël qui était entre les deux était sauvée.
ואתם עשו כל עבודותיו לשם שמים דרך דילוג וקפיצה, זכר לשמו שקרוי פסח. וגם פשק"א לשון פסיעה
Et vous faites votre culte [littéralement "travaux"] au Nom du Ciel en sautant et en bondissant, en souvenir de son nom qui est appelé "Pessah". Et aussi "Paske" (ou Pasque), mot qui signifie "passer" (faire des pas).

Rashi nous donne donc l'explication du mot Pessah et le traduit même en français du XIIe siècle : Pasque ou Paske et l'assortit du mot hébreu פסע passa' (avec un ain final et non un het) qui est un mot non biblique, mais de l'hébreu mishnique et qui signifie "faire des pas". Le dictionnaire Jastrow nous apprend ce matin que les verbes bibliques פשׂע פסה et פסח sont équivalents "to spread the feet".

On retrouve aussi ce verbe פסח dans 1 Rois 18,22 : עד מתי אתם פסחים על שתי הסעפים אם יהוה האלהים לכו אחריו ואם הבעל לכו אחריו " "Jusqu'à quand clocherez-vous entre les deux partis? Si l'Eternel est le vrai Dieu, suivez-le; si c'est Baal, suivez Baal!".

La Pâque est donc l'agneau lui-même par association avec l'action de Dieu qui épargne les fils d'Israël lorsqu'il voit le sang de l'agneau sur les maisons. Paul n'emploie pas le terme Pâques dans un autre sens lorsqu'il dit dans 1 Co 5,7-8 "Faites disparaître le vieux levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans levain, car Christ, notre Pâque, a été immolé. Célébrons donc la fête, non avec du vieux levain, non avec un levain de malice et de méchanceté, mais avec les pains sans levain de la pureté et de la vérité."

De même dans Lc 22,7-8 : "vint le (Mc Mt : "premier") jour des Azymes où l’on devait immoler la Pâque".


Y a-t-il seulement dans la liturgie catholique un emploi du mot "Pâques" au pluriel ? Sauf erreur de ma part, ce mot est toujours au singulier. Alors d'où vient cette idée de séparer et de distinguer Pâque juive et Pâque chrétienne en mettant cette dernière au pluriel ? En hébreu moderne, il y a également deux mots pour distinguer Pâque juive et Pâque chrétienne : pessah (hébreu) pour la fête juive et son équivalent araméen pas'ha pour la fête chrétienne. En anglais, il y a aussi deux mots Passover et Easter.

Il faudrait pouvoir scruter les sources médiévales en français pour vérifier ce qu'affirrme le site Lexilogos "Au Moyen Âge, on écrivait au singulier ou au pluriel indifféremment pour les deux fêtes". En tous cas, la transcription proposée par Rashi en langue d'Oïl du XIIe est au singulier : Pasque.

La Pâque dans le dictionnaire théologique de Louis Bouyet

Arrivé à ce stade, le lecteur chrétien se dira peut-être que décidément, voilà deux acquis remis en cause : Pâques n'est pas le passage de la Mer Rouge, et ne s'écrit pas au pluriel.

Pour asseoire cet état de fait, il n'est peut-être pas inutile de donner l'avis d'un théologien catholique, Louis Bouyet, réputé avoir écrit "Le Mystère Pascal", un livre qui date mais fondamental pour observer le lien Pâque-Eucharistie. Ce livre me fait défaut, c'est pourquoi je ne peux pas le citer pour l'instant. En revanche, j'ai ici son "Dictionnaire théologique".

Première remarque : il n'y pas d'entrée à "Pâques" au pluriel, mais seulement à "Pâque" au singulier. Les Pâques ne sont décidément pas une notion théologique, mais vraisemblablement plutôt populaire.

On lit ensuite, à l'occurence "Pâque", une confirmation complète de ce que Rashi nous a commenté :


"On suppose généralement que ce nom vient de pasah, passer, au sens d'épargner (cf. Ex., 12,23) d'après le fait que le Seigneur passe, sans y frapper de ses plaies, devant les maisons marquées du sang de l'agneau immolé par les Hébreux. Plus tard, on liera cette idée de ce passage du Seigneur pour racheter son peuple de l'esclavage celle du passage du peuple lui-même qu'il va entraîner comme à sa suite hors de l'Egypte vers le pays de la promesse, où Israël, chez son Dieu, sera comme chez lui."

Pâques au pluriel, une étymologie populaire ?

Sur le site Port Saint Nicolas, on trouve cette explication intéressante :
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Il semble que l’habitude de mettre un "s" final pour distinguer la fête chrétienne de la fête juive ne remonte guère au-delà du XVIème siècle et qu’elle trouve son origine dans les consignes pastorales de l’époque selon lesquelles tout baptisé était tenu de « faire ses pâques » (au pluriel) une fois l’an !

À une époque où les fidèles assistaient à la messe sans plus jamais y communier, il s’agissait de les obliger à se confesser et à communier au moins une fois l’an, à l’occasion de Pâques. D’où l’expression, « faire ses Pâques ».


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A suivre...

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